QUATORZE

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J'ouvrais péniblement les yeux, mais même sans avoir rien vu, je savais De un, qu'on m'avais déplacée, et de deux, que je m'étais attiré des ennuis. Je réalisais à quel point mes ennuis étaient gros quand, dans la faible lueur du couchant, j'aperçus le plafond de la salle d'audience de la forteresse Trakte. Tout droit dans la gueule du loup.

Je reçus un coup de pied dans le dos.

- Lèves-toi et salue ses majestés de Traktérie, gronda la vois d'Hector.

Voyant que je peinais à me relever, il m'empoigna par le col et m'obligea à me lever.

Je lâchais un hoquet de surprise à la vue des deux individus devant moi.

Le premier, le roi de Traktérie, était l'incarnation de l'idée qu'on se fait d'une mort douloureuse. Son visage défiguré d'hideuses cicatrices de guerre, un barbe rousse et drue qui remontait presque à ses petits yeux froids et calculateurs où ne brillait pas une once de bonté. L'homme, dans la fin trentaine, avait la posture de celui qui croit posséder le monde.

Viihn le Boucher.

Il semblait n'exister que pour déclencher des guerres, je ne l'aurais pas vu faire autre chose. Pourtant, sa grosse main, qui manifestement avait l'habitude de torturer, tenait une autre main, plus fine et plus jeune. Une main où, à l'annulaire gauche, brillait une flopée de rubis montés sur un anneau d'or.

La propriétaire de cette main était celle qui me dérangeais le plus.

C'était Gaëlle. Elle était parée d'une longue robe de jacquard ocre au buste orné de minuscules plaques d'or imbriquées les unes dans les autres comme une cotte de mailles. Ses cheveux noirs étaient tressés de fils d'or. Elle était apprêtée comme une reine, belle et terrible comme l'étouffant Soleil de midi.

- Le roux te rend encore plus insipide que jamais, dit-elle.

Je dû me fouetter mentalement pour rester concentrée sur mon objectif.

- Où est Auguste? Tu as promis, Gaëlle!

- Insignifiante! Tu oses t'adresser si familièrement à moi! Appelles-moi majesté.

Mon regard passât d'elle au roi et du roi à elle, j'étais perturbée.

- Hein?

- Sa majesté le roi Viihn et moi sommes mariés, ce qui fait de moi sa reine.

Et là, ils s'embrassèrent langoureusement. Je réprimais un haut le cœur en pensant qu'il avait plus de deux fois son âge. Ils se séparèrent enfin et Gaëlle me toisa avec supériorité.

- Qu'est-ce que tu regarde comme ça?

Je restais muette de découragement, alors, pour meubler le silence, elle proféra tout à trac la plus grosse énormité que j'avais jamais entendue.

- Je porte son enfant.

C'était dit d'un ton si pompeux que je ne doutais pas de la véracité de ses dires. Ça ne m'empêcha cependant pas de faire une moue de dégoût et mille frissons d'écœurement.

- Ark... T'as fais ça... Avec... Avec ça? T'es folle?

Je n'aurais peut-être pas dû exprimer mon dégoût si vertement, ni traiter le roi Viihn de « ça ». J'avais une dizaine de lances braquées sur moi.

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