QUINZE

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Olivier

Ses grands yeux moroses, au milieu de son visage ravagé par la souffrance, sont la dernière chose que j'ai pu admirer d'elle avant qu'on me la vole.

Je serrais comme une bouée le corps de celle que je n'avais pas su sauver. J'avais l'impression d'être poignardé de l'intérieur, de me noyer dans un océan de larmes. Je la serrais contre moi pour ne pas sombrer dans la folie.

Une main sur son visage, je pleurais des mots et priais pour qu'on me la ramène. J'ai chuchoté jusqu'à en perdre le sens des mots.

- Reviens, ne pars pas. Astride, mon cœur... Astride réveille-toi. Tu n'as pas le droit de m'abandonner... Je t'aime, je t'aime, je t'aime, reviens.

Elle semblait désormais si frêle, elle aurait pu s'envoler avec la brise.
Son sourire. Je ne le verrai plus désormais.

Morte.

Elle avait été tuée. Tuée. Tuée. Tuée.

Gaëlle, cette immonde sorcière, l'avait tuée.

Pour la première fois de ma vie, j'ai eu envie de faire du mal, des pulsions meurtrières me secouaient tout entier. Cette noirceur m'a enveloppé le cœur comme un épais velours, son étreinte était presque passée inaperçue, mais elle m'étouffait à petit feu.

Je levais les yeux vers le monstre. Je portais une main à mon épée pour mettre un terme à la vie de cette chose coiffée d'une couronne.

Froidement, elle m'a regardé, pas le moindre du monde intimidée.

- À la moindre offense, je n'aurais aucun scrupule à vous y faire passer également. Rangez votre arme, Olivier.

-  TU AS PROMIS DE LA LAISSER PARTIR! TU AS MENTI! NOUS AVIONS PASSÉ UN ACCORD!

- Personne ne peux te mentir ne l'oublie pas, dit-elle dans un rire glacial. Je tiendrai parole, tu peux l'emmener avec toi, je ne la retiendrai pas d'avantage.

- SALE MONSTRE!

Je dégainais mon épée et m'élançais pour porter un coup fatal. Je savais que ce serait peut-être mon dernier geste, mais je m'en fichais éperdument.

Je n'avais pas franchis cinq mètre qu'hélas une force invisible m'arrêta.

Ce n'était pas un mur d'air comme Astride avait l'habitude de faire, ce mur là était composé d'énergie. À ma connaissance, il n'y avait aucun Ensorceleur qui avait ce pouvoir.

Cette force était plus grande que tout ce que j'avais expérimenté, cet individu devait être un adversaire redoutable. Plus puissant, même, que l'était Astride.

Je me tournais vers la source de cette magie.

Une jeune femme. Sa peau claire et ses longues boucles d'argent irradiaient de lumière, dans ses yeux brillaient tous les astres. Sa majesté et sa pureté surpassait de loin la richesse matérielle des atours de Gaëlle.

Elle s'approcha du corps inerte d'Astride, je pointais cette fois mon épée sur la gorge de la nouvelle venue.

- Ne t'approche pas d'elle.

Elle semblait sur le bords des larmes, mais tenta un sourire presque maternel.

- Olivier, elle est partie.

En quatre mots, elle avait glissé des chapitres entiers de sous-entendus. La douceur de sa voix avait de la chaleur, celle qui mettait le baume sur les pires blessures.

Je ne la connaissais pas, mais je l'avais toujours eu à mon côté, j'en était inexplicablement convaincu.

Qui était-elle?

- C'était mon amie à moi aussi, chuchota-t-elle. J'aimerais lui offrir un dernier hommage. S'il te plaît.

Elle s'était faite si suppliante, si fragile que mon cœur s'est attendri. Je la laissais passer.

Elle s'agenouilla près d'Astride, le monde sembla se figer. Même Gaëlle et le roi étaient tétanisés face à cette force impérieuse qui émanait de la nouvelle venue.

Puis, la luminescence de la femme s'est intensifiée, jusqu'à faire disparaître son enveloppe charnelle.

C'était un être de lumière.

C'était l'Étoile.


L'Étoile posa délicatement ses mains sur la blessure d'Astride, l'horrible blessure fut noyée à son tour dans la lumière. Cette lumière évoquait la vie, la beauté et l'espoir.

Cette lumière l'enveloppa dans ses bras, quand celle-ci se dissipa, Astride avait disparu également. Vers un monde meilleur, j'espérais.

Mon esprit commença tristement à vagabonder sur des chemins sans retour, mais je m'arrachais à cette folie. Je ne pouvais pas me laisser aller au chagrin.

J'avais des choses à régler. Des personnes à remettre à leur place. 

Je levais durement les yeux sur Gaëlle. Je me promettais en cet instant que jamais elle ne craindrait quelqu'un comme elle me craindrait. Je serai son fléau, sa bête noire.

- Roi Viihn, Reine Gaëlle... En tant qu'héritier du trône de Bois-Aux-Mirages, je déclare la guerre à votre pays.

Le roi et la reine se regardèrent, un sourire satisfait aux lèvres. Pour peu, ils auraient rit.

Ils ne me prenaient pas au sérieux.

L'Étoile arriva à mon côté.

- Je m'appelle Cælesti, je suis l'Étoile.

Après un silence aussi éloquent et dramatique que ses paroles, elle ajouta:

- Astride était mon amie, ma meilleure amie. Vous l'avez fait souffrir, je vous ferai souffrir au centuple. Vous l'avez froidement assassinée, craignez-moi et priez-moi autant qu'il vous plaira, je ne vous épargnerai pas d'avantage. Bois-aux-mirages aura mon appui dans cette guerre.

Là, la peur les a défiguré. Là, j'ai vu la lueur d'un regret et d'une appréhension. Ils s'étaient mis à dos une créature de rang divin. Ils étaient en guerre contre le ciel.

Peut-être ne le savaient-ils pas encore, mais ils venaient de signer leur arrêt de mort.

Je suis sûr que, tout au fond, ils le savaient pourtant déjà.

GravitéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant