VINGT-NEUF

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Astride

J'eu un pincement au cœur en voyant ma cousine disparaître. Au fond, j'avais toujours nourri l'espoir d'une possible rédemption chez elle. J'avais espéré réparer l'irréparable.

Je pris l'apparence de Gaëlle et me coiffais de la couronne de celle-ci, restée au sol.

Au yeux du peuple, Gaëlle n'aurait jamais disparu. J'aurais voulu arrêter la guerre sur le champ mais, je ne le pouvais pas, sinon on crierait à l'imposteur. Jamais Gaëlle n'aurait rendu les armes sans une raison majeure.

L'humiliation de son adversaire, par exemple.

- Ohé! Serviteur! Dis à tout mon personnel que je vais prendre du repos. Personne ne doit me déranger sous peine d'être sévèrement puni. Est-ce clair?

- Oui, Majestée.

Je me retirais dans mes cartiers, de là, j'ai œuvré de magie tout l'après-midi pour précipiter un événement spécifique.

Comme de fait, mon sort devait avoir bien fonctionné, puisque les résultats se présentèrent exactement une semaine plus tard. Juste le temps qu'il fallait pour le voyage de Bois-Aux-Mirages à la forteresse de Traktérie.

L'idée de diplomatie que j'avais magiquement insufflée dans l'esprit d'Olivier avait rapidement fait son chemin et, de fait, une semaine plus tard, lui et un bataillon était à ma porte.

Je donnais l'ordre qu'on m'envoie le Roi et son conseiller, Auguste.

Question d'être plus crédible dans mon rôle, je m'étais juchée sur mon trône et les regardais de haut.

- Venu pour rendre les armes?

- Non, dit Olivier. Nous venons trouver une entente à l'amiable pour en finir avec cette guerre qui, j'en suis sûr, t'as coûté aussi cher en vies qu'à nous.

- Les vies je m'en moque. Je veux gagner la guerre! Je veux le pouvoir et l'or.

Je détestais proférer de telles paroles, mais on douterais de mon identité si je ne jouais pas le jeu.

- À défaut de pouvoir, s'avance Olivier, nous pouvons offrir de l'or en échange de votre abandon et votre promesse de ne plus jamais nous attaquer.

- Combien offrez-vous?

- Trois mille pièces d'or.

- Trois mille? Trois mille? Vous m'insultez, je devrais vous envoyer aux loups pour un tel affront. Trente mille.

Olivier et Auguste affichèrent un air de dégoût très mal dissimulé. Remarque, je m'écœurais moi-même.

- Dix mille, il répond.

- Vingt mille et la région d'Ædrerie.

- L'Ædrerie vaut bien plus que Trente mille pièces d'or, c'est de l'arnaque! Onze mille pièces d'or.

- Vingt-cinq mille, c'est mon prix... Si vous n'êtes pas satisfait, vous n'avez qu'à retourner chez vous, nous enverrons l'armée sur la capitale d'ici une semaine.

Je dû retenir un sourire de victoire lorsqu'Auguste, qui avait enfin saisi l'idée d'échappatoire que je lui avais mentalement lancée quand ils étaient entrés dans la salle du trône, la chuchota à l'oreille du roi.

Je savais pertinemment qu'ils m'enverraient l'illusion de vingt-cinq mille pièces d'or et j'en étais comblée. Mon plan fonctionnerait.

- Entendu, dit Olivier en déployant des efforts remarquables pour se retenir de rire.

Je lui tendis spontanément la main en signe de paix. J'en aurais pleuré tant j'étais soulagée de savoir ma famille et mes amis en sécurité. Si seulement Olivier avait su à quel point j'avais été heureuse de me faire arnaquer ce jour là, il aurait prit peur.

Pour peu, j'en aurais oublié qu'il ne m'avait jamais aimé et je l'aurait enlacé sur-le-champ. Peut-être même embrassé.

Soudain, je remarquais qu'il me fusillait du regard et ne prenait pas ma main.

- Tu ne la serre pas, Olivier? Dis-je, un peu chagrinée.

L'échos de la voix de Gaëlle me revint et je me rendis compte que ces intonations sonnaient faux dans sa bouche. J'avais oublié mon rôle de tortionnaire, mon sourire était trop chaleureux et mes geste, trop doux.

J'avais oublié de me cacher derrière le masque de fer de Gaëlle.

C'est la voix tremblante d'hésitation que je revêtais tant bien que mal l'expression supérieure de ma cousine. Même Auguste, qui était trop loin pour avoir tout saisi, semblait perplexe.

Je rangeais ma main, à regret, au moment où il tendis finalement la sienne.

C'est ce qui mît fin aux doutes d'Olivier.

Il retourna au pays et je reçus, comme prévu, vingt-cinq mille illusions de pièce d'or. Je rappelais toutes mes troupes et c'est ainsi que toute activité de guerre se termina en Traktérie. Et puis, quand la paix fut de retour, je pus me consacrer au futur de Traktérie.

Je me présentais à une porte devant laquelle tremblait une nourrice.

- Votre majestée! Pleura-t-elle.

Je levais la main pour signifier qu'elle n'avait pas besoin d'en dire d'avantage. J'entrais dans la chambre à la mine triste et lugubre qu'on avait négligemment octroyé à mon neveux. Rien de plus qu'un lieux d'entreposage pour un fils qui s'était mis à être trop encombrant pour ma cousine dès qu'il s'était mis à marcher.

L'enfant qui se transformait en bête sauvage chaque fois que la fantaisie le prenait. Un monstre, dirait un étranger aux coutumes des Ensorceleurs.

Je m'assis sur le lit et commençais à parler au lion d'une voix douce, jusqu'à ce que l'enfant se calme et reprenne sa forme originelle.

Je découvris alors un enfant abandonné à lui même, qui ne demandait pas plus qu'un peu de chaleur maternelle.

- Bonjour, Zandrin.

- Qui êtes-vous?

- C'est moi, maman, mon cœur.

- Ma mère ne m'a jamais appelé par mon nom, pas plus que par « mon cœur ». Elle ne m'a jamais regardée dans les yeux. Vous n'êtes pas ma mère, qui êtes vous?

Je m'accroupis pour me mettre à son niveau. Je me foutais de laisser tomber mon masque avec l'enfant, je voulais qu'il ait une enfance heureuse, de bonnes valeurs et de l'amour. Je voulais qu'il devienne un homme bon, il serait mon enfant, peut importe le nom qu'il me donnerait en retour.

- Es-tu capable de garder un secret pour moi, mon cœur?

- Oui.

- Tu as raison, dis-je en reprenant ma forme d'étoile. Je ne suis pas Gaëlle Bellefeuille, mais je serai ta maman.

- Ma mère, reviendra-t-elle?

- Non.

Je m'attendais à ce qu'il pleure, ne serait-ce qu'un peu. Au contraire, il m'offrit le plus beau sourire de la terre, un sourire qui exhibait une dent manquante et faisait naître une curieuse fossette dans le haut de sa pommette. Il me sauta dessus et m'enlaçât de ses petits bras d'enfant.

Je ne regrette pas d'avoir adopté Zandrin.

Je peux vous assurer que Zandrin devint un homme honorable, un très grand roi et un fantastique Ensorceleur.

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