Gravité

DIX-HUIT

Astride

Je n'étais pas vivante, pas au sens propre du terme.

D'ailleurs, je flottais dans un vide abyssal où rien n'existait, pas même moi.

Est-ce que c'était ça, l'après-vie? Je réalisais qu'aucune autre explication ne s'imposait à moi. Je me mis à paniquer, essayant de battre des bras et des jambes, mais je ne pouvais pas.

Parce que je n'existais pas. Donc pas de bras, pas de jambes.

Juste une conscience pour réaliser à quel point j'étais seule au monde.

Il ne faisait ni chaud ni froid, ni sec ni humide. Pas un souffle d'air sur mon visage, pas un son à être entendu. Juste l'obscurité.

Pas d'air. Je n'avais plus aucun pouvoir.

Je n'étais plus une Ensorceleuse, pas plus que je n'étais Astride.

Je n'existais pas. Pas encore.

J'ai flotté dans l'inexistence de mon désespoir pendant trois milliard d'éternités qui n'ont jamais vu le jour. Il n'y avait pas de temps, j'ai attendu longtemps pour son existence.

Puis, le rien s'est contracté en quelque chose. Une perturbation terrible de l'espace.

Dans une formidable explosion, tout s'est mis à exister en même temps, j'étais inondée par les réalités. Le toucher, l'ouïe, le goûter, l'odorat, la vue.

Les galaxies défilaient sous mes yeux éblouis. J'entendais des rires, des cris, le froissement du papier, le vent qui chante dans les arbres, le grincement d'une balançoire. Je goûtais l'aigre du citron, l'amertume du chocolat, l'eau de mer salée et d'autres goûts que je n'identifiait pas. Je sentais la terre humide, le feu de bois, la moisissure, l'herbe coupée. Sous mes doigts courrait le satin, la pierre et les flots de la mer.

Et au milieu de toutes ces existences, un petit groupe murmurait en cœur.

« Une étoile est née, une étoile est née, une étoile est née... »

La noirceur autour de moi semblait désormais tangible, elle scintillait de milles feux. Autour de moi, il y avait des êtres assis sur des trônes d'obsidienne.

Il étaient beaux à pleurer, ils portaient à la perfection les imperfections.

C'étaient des êtres faits de lumière, des étoiles. Ça m'a frappé, pourquoi avais-je crus toute ma vie qu'il n'existait qu'une seule étoile? Cela semblait si bête maintenant...

Cælesti, était là aussi, attendant que je la remarque. Elle avait beau être plus brillante que jamais, sous sa forme primaire, j'étais désormais capable de regarder en face toute sa lumière, mes yeux devaient s'être acclimatés.

J'ai tendu une main vers elle, mais celle-ci l'a traversée.

Je réalisais alors que mes mains, bien qu'elles existaient désormais, étaient à peine visibles, elle semblaient aussi immatérielles que la brume. Je fronçais les sourcils, décontenancée.

- Ne t'inquiète pas, tout viendra en son temps. Il te faudra  apprendre à être patiente, dans ce monde. Viens avec moi, je t'expliquerai.

- Expliquer quoi?

- Viens.

Elle me guida jusqu'à un petit salon tapissé de velours noir.

-Où suis-je?

- Dans le ciel nocturne. Chez-moi, chez-toi.

- Pourquoi ne suis-je pas morte?

Elle plissa ses yeux et la lumière sembla faiblir et trembler.