TRENTE-ET-UN

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Astride

- Et toi?

Il voulais que je raconte mon histoire. J'avais déjà les jambes molles de toutes les révélations qu'il m'avait faites. Il ne m'avait pas trahie! Il m'aimait!

J'étais si fébrile que j'avais de la difficulté à conserver mon apparence humaine. Je cachais mon bras derrière mon dos, puisque la marque des étoiles s'était mise à briller furieusement. Je ne voulais pas le mettre face à la réalité si abruptement.

Je m'assis par terre, entre les buissons de pivoines, et tapota le sol à mon côté. Je préférais qu'il soit assit. J'admirais un instant le rayon de soleil doré qui auréolait son visage, son sourire qui contaminait son regard.

Croyait-il que j'étais vivante?

Parce que je ne l'étais plus. Enfin, pas dans son monde. J'avais cessé d'exister ici pour exister au ciel nocturne.

Je m'appliquais à démolir ses rêves et les miens à coup de cruelles vérités.

J'étais lointaine et éternelle. Lui, du haut de ses quarante-cinq ans, regorgeait de l'énergie et la rage de vivre si éphémère qui caractérisait les vivants. Il avait vécu la moitié de sa vie, je passerai l'éternité à commencer la mienne.

Cælesti avait raison, je comprenais désormais la douleur de l'immortalité, je ne pouvais me permettre de retomber en amour avec lui.

- Je dois y aller, Le Soleil se couche. Adieux.

- Astride, attends! Me supplia-t-il.

Rien à faire, je m'évaporais avec les derniers rayons du soleil. Ma main quitta douloureusement la sienne.

Ce soir-là, comme les autres qui ont suivi, je l'observais s'asseoir dans les pivoines et pleurer toutes les larmes de son corps. Je me suis promis de ne plus jamais infliger cette torture à quelqu'un d'autre.

Je me suis promis de ne plus jamais m'infliger cette torture. J'éviterai désormais mes proches.

Les années ont passé. Olivier, peut importe le nombre de femmes que je lui envoyais, ne retrouva jamais l'amour.

J'ai accompli mon travail sans émotions, j'ai à entr'aperçu Olivier à l'occasion, mais jamais je ne lui donnais la chance de m'approcher.

Puis, cinquante ans plus tard, mon apprentissage fut terminé. Cælesti me livra un dernier secret.

Toute la journée, elle avait eu l'air bizarre, perdue.

Elle posa le bout des doigts sur mon front et traça une demi-lune avant de m'embrasser le bout du nez.

- Rappelle-toi de ce geste, il te permettra de transmettre ta magie... Et la vie.

- La vie?

- Olivier est mourant.

Une vague de tristesse manqua me noyer. Je suffoquais.

Je pensais à lui, à tous les autres. Même Zandrin devait être vieux, maintenant.

Auguste, Valériane, Zara... J'avais coupé les ponts depuis cinquante ans, parfois je regrettais. Puis, je ma rappelais qu'ils avaient eu une belle vie, qu'ils étaient maintenant paisibles. Je me rappelais que je n'aurais pas survécu à un deuil. Je préférais ignorer, les imaginer éternels. Cælesti me ramena durement à la réalité.

- Pourquoi tu me le dis? Répondis-je. Le peuple gris s'en occupera, comme tous les autres. Ainsi va la vie.

Elle me fixa du regard, où planait des millions de sous-entendus.

J'ai compris.

- Je peux le faire?

- J'ai demandé la permission au conseil, ils me l'ont accordé. Une seule fois ce siècle-ci, par contre.

- C'est plus que j'aurais demandé. Je me sauve.

Je fis mon apparition dans la chambre du roi en même temps que Le Soleil levant. Il était devenu vieux.

Mais, même malade et vieux, Olivier gardait une jeunesse sur son visage. Freesia, sa nièce devenue femme, était à son chevet.

- J'aurais besoin d'un moment, Freesia.

- Bien, mon oncle. J'attendrai dehors.

Elle essuya une larme et quitta la pièce. Olivier tourna péniblement la tête vers moi.

Son sourire, même à l'article de la mort, fut aussi éclatant que celui du jeune homme que j'avais connu.

- Astride. Te voilà enfin. Je crains que tu n'arrives en retard...

- Si je te disais que j'arrivais juste à temps? Voudrais-tu d'une éternité à mes côtés?

- Oui, n'importe quoi, si tu es là, avec moi. Oui. Oui...

Je traçais une demie-lune sur son front, l'embrassais sur le bout de son nez ridé.

Son âme était partie rejoindre les étoiles. Il était désormais, lui aussi, une étoile. Lorsque je suis revenue au ciel nocturne, il était là, à m'attendre.

- Olivier!

Je l'embrassais plus longtemps que n'importe quel vivant n'aurait pu le faire sans mourir à bout de souffle, le serrant fort contre moi pour ne plus le perdre.

J'étais comblée, puisqu'Olivier avait dix-huit ans de nouveau, comme si nous nous étions quitté la veille.

Ensemble, nous avons créés des mondes, leurs méchants et leurs héros, tissant les destins.

GravitéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant