Chapitre 3

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Nous arrivons à l'hôpital, ma tante se gare, coupe le moteur et sans dire un mot, elle descend de la voiture en claquant la portière. Je descends moi aussi. Elle marche devant moi mais se retourne et s'arrête pour m'attendre. Je la rejoins et nous entrons dans l'hôpital.
À l'accueil, Bianca me fait comme toujours son grand sourire remplie de pitié et comme toujours je la fusille du regard.
Nous patientons dans la salle d'attente avant que le docteur Collins vienne à notre rencontre. Il donne une poignée de main à ma tante, puis me fait un signe de tête en souriant timidement.

Nous entrons dans son petit bureau. Il me demande comment je vais alors je réponds sur un ton faussement ironique que je vais plutôt bien pour une mourante presque sans coeur. Ça ne le fait pas rire, ni ma tante, mais moi ça me fait rire. Ma tante lui dit qu'il faut me remettre le concentreur d'oxygène avec le masque pour la nuit parce que je peine à respirer, bla-bla-bla. Bien sur, le docteur Collins accepte. Ils parlent ensuite de mon traitement, je n'écoute pas vraiment parce que je m'en fous. Et puis ils n'ont pas vraiment l'attention de m'inclure dans leur conversation. Ils me comptent peut-être déjà dans les fantômes. En les coupant soudainement, je demande brusquement :
—Combien de temps me reste t-il ? (Ils me regardent tous les deux avec des yeux écarquillés)
—Comment ça ? répond Docteur Collins.
—Eh ben ! Combien de temps me reste t-il à vivre ? Du moins, à faire semblant, dis-je en riant. Alors, combien de temps ? (Docteur Collins me regarde avec de la pitié, je le déteste, quant à ma tante, des larmes roulent sur ses joues, encore).
—Ce n'est pas important, et c'est mieux de ne pas savoir, tu sais, tu es sur la liste d'attente pour la greffe de cœur, il te faut juste de la chance...
—De la chance ? De la chance ! Mais vous vous écoutez, hurlé-je en me levant de la chaise et en tapant mes poings sur son bureau, la chance, comme vous dites, ce serai que quelqu'un meurt pour me donner son coeur putain ! Je ne veux pas de ça ! Je n'ai jamais voulu être sur cette foutu liste d'attente qui de toute façon ne sert à rien ! Et je ne veux pas le coeur de quelqu'un d'autre, le mien n'est pas capable de fonctionner correctement et c'est comme ça, c'est tout !
—Je... heu, bafouille le docteur.
—Et dite moi combien de temps il me reste !
—Et bien, au mieux, au maximum il te reste...
—Vous savez très bien que vos «maximums » (je le dis en mimant des guillemets) ne sont jamais vrais ! Alors dites moi, vraiment.
—Six mois, si votre corps n'est pas affaiblie par une autre maladie, six mois. Mais votre système immunitaire est de plus en plus faible, une simple gastro pourrait vous tuer. Et, heu... votre cancer, du moins, il y a encore des cellules cancéreuse dans votre corps, pour l'instant elles ne sont pas dangereuse, mais si elles prolifèrent... et bien, votre cancer pourrait récidiver. 
—Ba voila, c'était pas si difficile, réponds-je en me rasseyant.
Je connais maintenant ma date de péremption. J'arrive déjà bientôt à ma date limite. Je n'ai plus que six mois à "vivre". De toute façon ma mort ne changera rien, je suis déjà morte,  pas physiquement non, mais je le suis déjà, je ne vis plus, je ne peux plus, je ne veux plus, car continuer à vivre me ferait aimer la vie, et quand on aime, on en veut toujours plus, et je ne peux pas avoir plus. Mais il me reste encore six mois. 

Parfois, même si je ne l'admettrai jamais, c'est difficile de ne pas pouvoir rêver, de savoir que je n'irai jamais à l'université, que je ne deviendrai jamais médecin comme je l'avais rêvé quand j'étais enfant, je ne connaîtrai jamais l'amour et n'aurai jamais d'enfant, je n'aurai jamais de maison, de chez moi. En fait, je vais mourir avant d'avoir connu la vie.

Ma tante sanglote en se cachant le visage de ses mains. Je touche son épaule, elle essuie ses yeux et se lève. Le Docteur Collins lui dit qu'un concentreur d'oxygène ainsi que les médicaments seront directement livrés chez nous. Je recule vers la porte pour l'ouvrir, ma tante serre la main du docteur et se retourne pour me rejoindre.
Enfin, nous quittons l'hôpital et regagnons la voiture, toujours en silence.

Lorsque nous arrivons à la maison, elle brise timidement le silence qui s'était installé entre nous :
—Tu as faim ?
—Non.
—Ok.
—Abby, je suis désolée, dis-je sincèrement en la regardant dans les yeux.
—Ne t'inquiète pas, Gaëlle, ça va, me répond-elle en souriant tendrement. Je souris à mon tour, du moins, un sourire qui ressemble plutôt à une grimace. 

Je prépare mon sac et ma tenue pour demain que je plie soigneusement et que je pose sur mon bureau. Demain c'est lundi et je vais au lycée. Je ne sais même pas pourquoi je veux toujours y aller, sûrement car je ne veux pas m'apitoyer sur mon sort. 

Je m'allonge sur mon lit et fixe le plafond. Je suis trop dur avec ma tante, elle a toujours été là pour moi et je la traite mal, trop mal, mais c'est ce que je fais avec tout le monde, c'est pour les forcer à ne pas m'apprécier, c'est la seule solution que j'ai trouvé, les mots qui blessent. Ma tante a toujours été là pour nous, pour moi. Quand ma mère est morte, elle n'a pas hésité une seule seconde à signer les papiers pour m'adopter. Elle m'a toujours soutenue, et je sais qu'elle me considère comme la fille qu'elle n'a jamais pu avoir.
Elle avait eu un mari, elle était tombée enceinte, elle était heureuse, vraiment heureuse, elle avait même dit que son plus grand rêve allait se réaliser, elle allait devenir maman, mais au bout du deuxième mois elle a fait une fausse couche. Son enfoiré de mari lui a dit qu'elle était incapable de lui donner un enfant alors il l'a quitté et deux semaines plus tard, il a demandé le divorce. Un an après, son beau frère et son neveu sont morts, puis ensuite, sa sœur. Et bientôt, sa nièce mourra aussi.

Je descends vers vingt heures pour manger un peu et vais me doucher.
Je m'installe dans mon lit, active mon alarme pour six heures et demi et je lis le dernier tome de Hunger Games un bon moment avant de m'endormir. Katniss aussi a beaucoup perdu. Elle est détruite elle aussi. Mais elle, elle, se bat toujours, pas tout le temps, mais la plupart du temps tout de même. Moi, j'en ai plus qu'assez, et me battre en sachant que je ne gagnerai jamais ne sert à rien. J'ai toujours préféré gagner, me battre pour gagner, mais en réalité, je ne suis qu'une perdante, et je ne sais plus me battre. 

VIVRE-Tome1 [Terminé-En relecture et correction]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant