Chapitre 36

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Gaëlle

J'entends dans la chambre de Mason, quelque chose qui se brise en un bruit sourd, je sursaute mais ne me retourne pas, je n'en ai pas la force, des larmes roulent déjà sur mes joues et j'essaie de retenir les autres qui menacent de couler. Ma gorge brûle et je me mords la joue pour retenir un sanglot. J'essuie mes larmes et inspire un bon coup puis je descends les escaliers. Comme par hasard Meghan est ici, dans le séjour, devant sa grande télévision.
—Tu pars déjà ? Me demande-t-elle.
Je ne perçois aucune once de jugement dans sa voix, pourtant sa question me blesse un peu plus.
—Heu oui, je ne peux pas rester ici pour cette nuit, c'est... heu... compliqué pour moi.
Elle se contente de me sourire et se lève.
Je jette un coup d'œil à la télévision et écoute ce que la journaliste dit. Ils parlent encore de ces meurtres, les enquêteurs n'ont toujours pas trouvé le coupable. Meghan me regarde et dit :
—Il est vraiment taré, celui qui fait ça.
—Totalement taré, oui, réponds-je.
Je ne comprends toujours pas pourquoi ce meurtrier appelle l'hôpital avant la mort de la victime. Les meurtriers sont censés vouloir tuer des gens et non pas « presque tuer » des gens et ensuite espérer pouvoir les sauver, non ? À moins qu'il veut que ses victimes restent en vie ? Non, ce serait trop risqué pour lui, la victime pourrait témoigner et je ne pense pas que le plus grand rêve d'un meurtrier soit de passer sa vie en prison, à moins que celui-ci soit vraiment fou, il doit être vraiment fou d'ailleurs.
—Gaëlle ? Dit Meghan en claquant des doigts.
—Oui ?
—Je t'ai demandé si tu voulais boire ou manger quelque chose ?
—Oh non, non merci ça va.
—Vous vous êtes fâchés ? Avec Mason ? C'est ça ? Dit-elle calmement.
—Heu... oui, en quelques sortes.
—Tu sais, je ne le connais pas très bien mais il a du mal à gérer sa colère... surtout depuis que sa mère est... heu...partie.
—Oui j'avais remarqué. Vous connaissiez bien ses parents ?
—Oh tutoie-moi je t'en prie, dit-elle en souriant. Oui, je les connaissais bien, du moins surtout Hanna. C'était ma meilleure amie, on s'est connu alors que nous avions huit ans et nous sommes toujours restés inséparables. On nous appelait les sœurs siamoises. (Meghan sourit, les yeux perdus dans le vague) Et son père, Zack, eh bien, je ne le connaissais pas vraiment. Au début, lorsque Hanna et lui ont commencé à sortir ensemble, il était attentionné et doux, bien qu'il avait lui aussi du mal à contrôler sa colère, il pouvait être violent parfois, mais au début, je pensais, comme Hanna, que jamais il ne lui ferait de mal. Grâce à elle, il arrivait à contrôler sa colère, elle le rendait meilleur et il l'aimait vraiment. Ils se sont mariés peu avant la naissance de Mason, je me rappelle à quel point ils étaient heureux tous les deux, heureux de fonder une famille, d'avoir un fils. Puis Zack a perdu son boulot, un mois avant la naissance de son fils. Il s'est mis à boire, puis peu à peu, l'homme qu'il était avec Hanna s'est évaporé et à laissé place à un homme violent et égoïste, à un monstre. Hanna travaillait beaucoup pour répondre à leurs besoins, pour continuer à payer l'emprunt de leur maison, pour pouvoir acheter à manger, si bien qu'elle travaillait encore le jour où elle a accouché. Quand elle a perdu les eaux, elle a appelé Zack qui était évidemment injoignable donc elle m'a appelé et je l'ai accompagné à l'hôpital. Quatre heures après, Mason voyait le jour. Hanna m'a dit que c'était le plus beau jour de toute sa vie, même si je savais très bien qu'elle était triste que c'était moi qui l'avait accompagné et pas l'homme qu'elle aimait. Mais elle aimait déjà son fils plus que tout au monde, et puis, elle a toujours été forte, elle ne baissait jamais les bras, elle continuait à se battre, à voir la lumière dans les personnes comme Zack, à croire en eux, même lorsqu'ils ne le méritaient pas. Mason n'a jamais connu l'homme qu'Hanna a épousé, et cela la rendait vraiment triste. Zack buvait beaucoup, beaucoup trop et il est devenu violent avec Hanna. Elle ne me l'a jamais dit mais je voyais sur ses bras d'énormes tâches bleues, vertes et marrons qu'elle tentait de dissimuler comme elle le pouvait. Quand je lui demandai si c'était lui qu'il lui faisait ces horribles marques, elle me répondait que non, que tout allait bien, qu'elle était heureuse. Évidemment je ne la croyais pas, mais le pire c'est que je n'ai jamais insisté, je l'ai laissé me mentir. J'aurai pu faire quelque chose... mais je n'ai rien fait, je suis lâche, je suis la pire des meilleures amies et j'ai honte de moi, tous les jours je me le rappelle, je me rappelle que je n'ai rien fait alors que j'aurais pu la sauver. Hanna était courageuse, mais elle était éperdument amoureuse du monstre qu'était devenu Zack, et son amour pour lui dévorait son courage, le courage dont elle aurait pu se servir pour partir avec Mason loin de lui. Elle a élevé seule son fils et travaillait en même temps. Elle était épuisée alors on se voyait beaucoup moins. Zack trainait de bar en bar et rentrait chez lui pour boire encore, mais elle continuait de penser qu'elle pourrait le sauver, qu'il pourrait redevenir l'homme qu'il était avant. Même si elle n'est pas partie, Hanna a toujours protégé son fils des griffes de Zack, elle n'a jamais laissé la violence de Zack s'emparer de Mason, elle l'a toujours empêché de frapper son fils, son fils qu'elle aimait plus que sa propre vie... jusqu'à... cette nuit. Cette nuit où ce monstre qu'elle aimait malgré elle, avait beaucoup trop bu, encore plus que d'habitude... cette nuit, où après laquelle je n'ai plus jamais revue son si beau sourire, ses cheveux noirs scintiller au soleil, elle était partie pour toujours alors que j'aurai pu la sauver. (Meghan essuie les larmes qui coulent le long de son visage puis me sourit.)
—Et il est toujours en prison, Zack ?
—À ce que je sache, oui. Je ne prends pas de ces nouvelles, je veux qu'il paie pour ce qu'il a fait, je veux qu'il souffre comme il faisait souffrir Hanna. Tu sais, Mason n'est pas comme lui. Il ne le sera jamais parce que le sang d'Hanna coule aussi dans ses veines et c'est elle qui l'a élevé. Même si Mason est plutôt dur à gérer, même s'il est en colère après le monde entier, qu'il pense que personne ne l'aime, qu'il croit qu'il ne mérite pas d'être aimé, et qu'il se déteste autant qu'il déteste son père, il ne deviendra jamais comme lui, je ne dis pas que Mason n'a que du bon, mais grâce à toi, et s'il se bat, s'il trouve la force que sa mère a du lui transmettre, il deviendra quelqu'un de meilleur, et lorsqu'il aura compris qu'il peut être quelqu'un de bien, il détiendra le bonheur qu'il mérite.
—Il est déjà, malgré tout, quelqu'un de bien. (Meghan me sourit encore.)
—Tu es quelqu'un de bien aussi, Gaëlle et je suis heureuse que Mason t'ai rencontré. Tu seras son ange gardien, pour toute votre vie, tu seras la lumière qui le guidera, la seule voix qu'il écoutera, vous aurez une famille et vous serez heureux, comme vous le méritez. (Je ne peux pas retenir mon sanglot ni mes larmes, je ne peux pas. Je cache mon visage de mes mains. Bien sûr, Meghan ne le sait pas, elle ne sait pas que je suis condamnée, que je ne peux offrir à Mason ce qu'il mérite, et ces paroles prononcés à voix haute, me le rappelle encore et brise quelque chose en moi. )
—Je ne peux pas... marmonné-je en hoquetant. Je ne peux pas lui offrir ce qu'il mérite... je suis... malade, malade et mourante et dans quatre mois mes maladies m'arracheront à la vie et Mason souffrira, je ne suis pas quelqu'un de bien.
—Oh... Gaëlle je suis désolée, je... je ne savais pas, excuse-moi.
—C'est rien, dis-je en ravalant un sanglot.
—Mais ne doute jamais de toi. Tu es la meilleure personne que Mason ai pu rencontrer, n'en doute jamais.
—Merci, dis-je en tentant un sourire, qui doit plutôt ressembler à une grimace.
Je me dirige vers la porte, incapable de rester ici plus longtemps.
—À bientôt !
—Tu peux revenir ici quand tu veux Gaëlle, et encore désolée, vraiment.
—C'est bon ça va, ne t'inquiète pas.
Elle sourit et je referme la porte.
J'entre dans ma voiture et la démarre.

Je laisse couler toutes les larmes que je retenais depuis un moment et je crie, je crie à m'en arracher les poumons, déjà en pas très bon état, jusqu'à ce que j'arrive chez moi. Je me gare et coupe le moteur. Puis je me rends directement dans ma chambre et j'écris dans mon carnet.

Il est vingt-et-une heures, ma tante n'est pas encore rentrée. Je ne lui envoie pas de message. Je prends ma douche, me brosse les dents et enfile mon pyjama puis je pars au lit sans même avoir manger.

Mes poumons brûlent, et dans ma poitrine, des millions de couteaux se plantent et s'enfoncent encore et encore. Je peine à respirer alors je me lève pour prendre mes médicaments et retourne me coucher avant de brancher le concentreur d'oxygène et de mettre le masque. Je ferme les yeux, comme pour essayer d'effacer la douleur, de la faire fuir, seulement elle demeure en moi et tire des larmes de mes yeux.

Je fixe le plafond pendant un moment, des larmes, trop de larmes, roulent sur mes joues. Je me sens faible, tellement faible, physiquement comme psychologiquement. Je sais que Mason m'aime et qu'avec lui je suis heureuse, plus heureuse que je ne l'ai jamais été mais ma maladie est en train de gagner, je le sens, je me sens partir un peu plus chaque jour, et le seul qui a le don de me raccrocher à la vie, c'est Mason et il n'est pas là. C'est fou comme j'ai besoin de lui, je déteste la sensation d'être dépendante mais je dois bien l'admettre : j'ai autant besoin de lui que lui de moi.

VIVRE-Tome1 [Terminé-En relecture et correction]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant