Chapitre 64

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Mason

Il est quatre heures du matin et je n'arrive toujours pas à trouver le sommeil. Je pense trop, comme toujours. Mais cette fois peut-être encore plus. Alors je me contente de fixer le plafond, l'obscurité et de laisser tourbillonner dans ma tête toutes ces pensées, tout ces souvenirs qui me maintiennent éveillés, une fois de plus. Je pensais que c'était enfin fini, tout ça, les longues insomnies. Mais j'ai l'habitude. C'étaient toutes mes nuits jusqu'à ce que Gaëlle dorme dans mes bras, puis toutes mes nuits lorsqu'elle est partie. Ça c'était arrêté pourtant, je dormais mieux, un peu plus, et voila que ça recommence. Bien sûr, il m'arrivait encore de faire des cauchemars, le même, toujours le même, mais bien moins souvent qu'avant Gaëlle.  Je vois des flashs de Gaëlle qui rit aux éclats, de son corps toujours froid sur le mien, de la foudre dans ses yeux, puis soudain Gaëlle est remplacé par Leïla, qui rit, ses boucles rebondissent sur ses épaules, ses yeux sont légèrement plissés. Puis encore Gaëlle, en haut de la Tour Eiffel, les cheveux au vent, les yeux pensifs, brillants, un sourire aux lèvres, et tout bascule, Gaëlle dans un lit d'hôpital, Gaëlle me rappelant la promesse que je lui ai faite, Gaëlle me disant qu'elle m'aime, son regard planté dans le mien, puis ses yeux qui se détourne, fixant le plafond, toujours un sourire aux lèvres, comme pour me rassurer alors que rien n'allait, et ses paupières qui se ferment, son visage qui se décrispe, sa main qui lâche la mienne, et la douleur dans ma poitrine, la douleur dans tout mon corps, les cris qui s'étouffent dans ma gorge, les yeux qui brûlent, mon visage trempé par les larmes, le temps qui semble s'arrêter mais la vie, elle, continue de dérouler son fil, toujours et toujours, sans jamais marquer de pause. Du temps. Toute sa vie on pense en avoir, toute sa vie on repousse tout au lendemain, mais du temps, on en a pas, et le jour où on le comprend, c'est déjà trop tard, et il nous reste plus que des souvenirs par centaines. Est-ce que les souvenirs finissent-ils par s'effacer eux aussi ? Que nous reste-t-il après ? Des regrets ? La peine ? La douleur ? Jusqu'à ce que la mort nous prenne tout. Je voudrais des réponses. On en voudrait tous. Et on passe sa vie à en chercher sans savoir s'il y en a vraiment.

J'ai été faible, j'ai tout raconté à Leïla alors que je ne la connaissais pas. Et elle a été faible aussi. Depuis quand raconter tout ce qui nous fait souffrir à quelqu'un est devenu si facile ? En réalité, tout lui raconté, ça n'a rien eu de facile, chaque mot me brûlait la gorge, faisant trembler ma voix, me tirait des larmes, m'obligeant à lutter pour les retenir. Pourtant je lui ai tout dit. Même ce que je n'ai jamais dit à Gaëlle. Et, elle, m'a t-elle tout dit ? A t-elle été sincère avec moi ? Il m'a parut que oui, mais encore une fois, que sais-je de cette fille ? Strictement rien, je la connais, du moins je pense la connaître, mieux que personne, mais ce n'est peut-être qu'une impression. Peut-être n'a t-elle pas ressenti ce que moi, j'ai ressenti ? Pourtant, je jurai que j'ai senti son coeur frapper contre sa poitrine lorsque nous nous embrassions. Et la façon dont elle avait de me regarder, de me sourire, comme si j'étais le seul à qui elle souriait ainsi. Et son rire, aussi, il était rauque, comme le mien, comme si tous les deux, nous n'avions pas rit depuis longtemps. Et sa peau qui me brûlait et mon coeur qui battait plus fort à chaque fois qu'une partie de son corps se posait sur moi.  Les pensées ne s'emmêlent enfin plus dans ma tête alors, je ferme les yeux en rabattant ma couette jusque sur mon menton, puis j'attrape un coussin que je sers fort contre moi, j'arriverai peut-être à dormir comme ça. 

J'entends maman qui hurle, des bouteilles qui se cassent, mon père qui rit. Maman pleure je crois, je l'entends renifler. Je l'imagine essuyer ses yeux, parce que maman est fière, elle n'aime pas qu'on la voit pleurer, surtout quand je suis là. Maman crie encore sur papa, je ne comprends pas ce qu'ils disent mais il faut que je l'aide. Papa, c'est comme un monstre sous les lits, il fait peur, il me fait peur  et il fait peur à maman aussi. Mais il faut que je protège maman, alors j'attrape doudou et je me lève. Il fait noir et j'y vois rien, je trouve enfin l'interrupteur, la lumière s'allume, ça me brûle les yeux. J'ouvre la porte, longe le long couloir et m'arrête en haut des escaliers en serrant doudou très fort contre moi. Papa hurle sur maman, il tient ses deux poignets, maman est forte, elle se débat, mais papa est comme un monstre, et les monstres, c'est toujours plus fort. 

VIVRE-Tome1 [Terminé-En relecture et correction]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant