Gaëlle
Lorsque j'arrive à la maison, ma tante est déjà là, assise sur le fauteuil, une tasse de thé dans une main et un livre dans l'autre. Elle relève la tête pour me sourire. Elle est toujours bien coiffée, bien habillée et parfaitement maquillée. Je me demanderai toujours comment elle fait. Moi, quand je me fais une queue de cheval, j'ai des frisottis partout qui me retombent sur les tempes au bout de deux heures, elle, non, sa queue de cheval reste intacte, parfaite.
—Tu es déjà rentrée du boulot ? Demandé-je.
—Heu oui, petite journée. Pas beaucoup d'urgence, répond-t-elle en souriant.
—Mason va bientôt arrivé, je monte dans ma chambre. Tu lui ouvriras et tu l'autoriseras à rentrer hein !
—T'inquiète ! Lance-t-elle lorsque j'arrive dans les escaliers.Neuf marches. Neuf. Je peux le faire sans arriver en haut à bout de souffle. Foutu cancer ! Je monte doucement les escaliers, marche par marche, c'est vraiment pénible mais je suis bien obligé de faire comme ça. Foutu cancer !
Parfois, du moins, souvent, je me déteste, je ne déteste pas mon cancer, ni mon cœur, puisqu'après tout, ils sont de moi, ils sont moi alors je ne peux que me détester, je ne peux que m'en prendre à moi même.
J'aurai aimé être heureuse, comme tout le monde le souhaite, puisqu'après tout c'est le but de la vie non ? J'aurai aimé pouvoir rêver d'un avenir, où mes enfants auront eux-mêmes des enfants, où j'aurai décroché mon diplôme de médecin puis passé un bout de ma vie à sauver autant de vie que je l'aurai pu, un avenir dans lequel je serai devenu une petite mamie, où je me serai assise en face de mon mari dans notre grande maison, pour fêter nos cinquante ans de mariage, et où je me dirai « ça y'est, je l'ai fait, j'ai tout réussi, je suis heureuse, fière et comblée.» Seulement, voilà, la vie m'interdit de rêver, ou plutôt, je m'interdis de rêver, à cause de tout, à cause de ce qu'il reste de ma vie.
Je suis comme coincée, bloquée dans un éternel présent avec un passé douloureux, sans aucun rêve ni aucune projection d'avenir, comme dirait John Green « On se sert de l'avenir pour échapper au présent.», mais moi, je ne peux pas échapper au présent, je suis dans une impasse, dans un labyrinthe sans issue ni sortie; et bien que je fasse comme si je me fichais de tout, je sais que ce n'est pas le cas, je sais que j'aurai voulu réaliser tous les rêves que j'ai pu avoir fut un temps, mais je ne peux pas, le temps passe, un peu trop vite pour moi.
Arrivée en haut des escaliers, je pose ma main sur la rambarde et reprends mon souffle. Inspirer. Expirer. Inspirer. Expirer. Ça va aller. J'irai bien. Mason va arriver et tout ira bien.
J'ouvre la porte de ma chambre et vais m'asseoir sur mon lit. Je ferme les yeux un instant. Une larme, une seule roule sur ma joue. Je l'essuie immédiatement.
Je regarde ma montre : 16h12. Mason devrait être là d'ici une heure.
Je vais m'installer à mon bureau, je sors mon agenda et jette un coup d'œil aux devoirs qu'il me reste à faire. J'ai déjà tout fait à part la dissertation en religion. Je sors mon classeur et lis le sujet : Pourquoi, à votre avis, certaines personnes croient en un être supérieur et tout puissant et d'autres n'y croient pas ? Et vous, croyez-vous en un Dieu ? Pourquoi ? C'est simple me dis-je. Le professeur de religion, M.Richman, ne nous enseigne pas vraiment la religion, c'est plutôt un cour de réflexion dans lequel bien sur, il nous enseigne l'Histoire des religions mais il nous donne surtout des sujets de réflexion de ce type, ce que je préfère largement car je ne suis pas croyante.
Je sors une copie double et mon stylo bleu et me mets à écrire :
Certaines personnes croient en un être supérieur et tout puissant parce qu'ils ne supporteraient pas de ne pas y croire. Ces gens croient en Dieu par désir du Paradis, ils pensent, à tort, que la mort est affreuse et voudraient de Dieu qu'il les mène au Paradis pour trouver une paix éternelle que la vie ne peut offrir. Ces gens, même en ayant connu des misères, se convainquent qu'un être tout puissant existe et qu'un jour il leur viendra en aide, car ces gens n'ont pas la force d'accepter la réalité, ils n'ont pas la force de se dire qu'aucun être supérieur existe, que la magie n'existe pas et que la vie est un combat, une guerre même, une guerre dans laquelle vous êtes le seul soldat capable de décider si vous êtes vainqueur ou vaincu. Alors ces gens attendent toute leur vie un miracle, ils restent simples spectateurs. Seulement, les miracles n'arrivent jamais si nous ne nous battons pas, car personne ne vient, pas d'être supérieur tout puissant, pas de Dieu, personne.D'autres personnes, comme moi et je pense que vous l'aurez compris, ne croient pas en un être supérieur et tout puissant. Nous n'y croyons pas, car pour la plupart, nous avons peut-être trop souffert et si un Dieu existait vraiment, je pense qu'il ne laisserait pas toute cette misère, toute cette souffrance demeurer en vous comme dans le monde entier. Je ne crois pas en un Dieu car je ne crois ni au Paradis ni à l'enfer, la mort n'est pas affreuse, je le sais, les gens ont seulement peur de la mort car c'est l'unique chose plus forte que la vie, mais la elle ne fait pas mal, au contraire, elle abrège les souffrances que la vie peut vous infliger, la mort c'est le vide, le néant, mais c'est paisible. Bien que je ne crois pas au Paradis ni à l'enfer, je pense qu'il y a quelque chose après la mort, quelque chose qui n'a rien à voir avec un être supérieur tout puissant mais peut-être avec notre âme. Je ne sais pas. Personne ne le sait ni ne le saura. Mais je pense que nous ne mourrons pas vraiment, nous cessons d'exister ou de vivre, oui, mais je ne pense pas que tout peut s'arrêter après la mort. Nous nous transformons, en matière oui, et peut-être aussi en quelque chose d'autre ? Personne ne le saura jamais. Je pense simplement que nous trouvons un autre moyen de se manifester, que nous sommes toujours là, quelque part ou partout, car je ne pense pas que les bons vont au Paradis et les mauvais en enfer; pour la bonne raison que le monde n'est pas fait de gentils et de méchants comme nous avions pu le croire lorsque nous étions enfant. Non, nous ne pouvons être bon ou mauvais, nous sommes les deux, nous sommes comme le Ying et le Yang. Nous avons tous en nous une part de noirceur, même les personnes les plus gentilles possèdent cette part. C'est pourquoi le Paradis et l'enfer ne peuvent exister, car nous ne serons jamais assez bons, jamais assez parfait, même en étant la meilleure version de nous même.
Je rebouche mon stylo et range ma copie lorsque j'entends des pas dans l'escalier. Mason, c'est Mason. C'est drôle comme je sais lorsqu'il est là, je ne saurais l'expliquer mais je le sens. À chaque fois qu'il est proche de moi, les papillons dans mon ventre s'excitent, les battements de mon coeur deviennent plus rapide, ça peut paraître niais, mais je le sens, c'est comme ça, c'est sûrement une des particularités de l'amour.
Il ouvre brusquement la porte de ma chambre et s'approche de moi, le sourire qui creuse ses fossettes aux lèvres. Je me lève, ses magnifiques yeux verts me transpercent. Sans rien dire, il pose une de ses mains sur ma taille pour me coller contre son torse chaud, je tressaille à son toucher, et de son autre main il lève mon menton, m'obligeant à me laisser transpercer par son regard. Puis il penche sa tête vers moi, ses lèvres effleurent seulement les miennes, pourtant elles me procurent une vive brûlure, mes lèvres s'entrouvrent pour permettre à sa langue chaude et mentholée de caresser la mienne. Des frissons me parcourent le corps et ses lèvres me brûlent, me rappelant à quel point je suis vivante lorsqu'il est là. Il retire sa langue, mordille ma lèvre inférieure et il me dépose des baisers juste en dessous de ma mâchoire, dans le creux de mon cou, et jusqu'à ma clavicule. Ma peau s'embrase, ses baisers, ses touchers, lui est la seule torche capable de déclencher ce feu en moi, de m'embraser. Il est le seul alcool que je veux boire jusqu'à en être saoule. Il est le seul alcool qui peut calmer ma peine, mes douleurs. Il est l'alcool que je préfère, le seul qui peut m'enivrer, plus qu'aucun autre alcool ne le peut. Je suis ivre de lui, ivre de notre amour, et surtout, je suis vivante.
—Tu m'as manqué, chuchote-t-il la tête toujours contre mon cou.
—On s'est vus ce matin, dis-je en riant (il relève la tête pour me regarder.)
—Ouais mais tu m'as manqué, on a passé presque dix heures sans se voir, c'est trop. Je ne t'ai pas manqué moi ?
—Plus que tu ne le crois, dis-je en déposant un léger baiser sur ses lèvres.
Je vais m'asseoir en tailleur sur mon lit, il me suit et s'assoit en face de moi contre la tête de lit.
—Qu'est-ce que tu aimerais vraiment faire avant de mourir ? À part faire l'amour avec moi évidemment, dit-il avec un sourire en coin, ce qui me fait rire.
—J'aimerais aller à Paris, ma mère y a vécu quand elle était petite et Paris était la ville qu'elle préférait, elle m'avait promis de m'y emmener et puis je suis tombée malade et elle est morte. Mais faire l'amour avec toi, c'est plutôt bien aussi.
—Alors on fera l'amour en haut de la Tour Eiffel.
—Je ne peux pas prendre l'avion, les médecins disent que c'est trop risqué, bla-bla-bla.
—Tu iras à Paris, avec moi.
—Les médecins ne me laisseront jamais partir et encore moins ma tante.
—Chut, dit-il en m'embrassant. On ira à Paris, je te le promets.
—Je t'aime Mason.
—Je sais. Je t'aime Gaëlle, dit-il en me serrant plus fort contre lui, comme s'il avait peur que je parte, mais je ne partirai pas, je ne veux plus partir, plus maintenant, je ne repousserai plus mes sentiments, je les laisse prendre possession de mon être à tout jamais.
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VIVRE-Tome1 [Terminé-En relecture et correction]
RomanceGaëlle, dix-sept ans, vit seule avec sa tante à San Francisco depuis la mort de ses parents et de son petit-frère, sept ans auparavant. Après avoir survécu à un cancer des poumons, en ayant plusieurs fois échappé à la mort, un nouveau diagnostique...