Il fait gris dehors, et un vent froid balaye la poussière qui s'élève sur le chemin. Mon père est près de la fenêtre, et il regarde à travers la vitre sale. Il n'a pas besoin de voir pour regarder. Il dit « assieds-toi, fils » et je le fais. Il ne dit jamais « mon fils » car il n'a pas d'appartenance. Il appartient tout entier à la vie, mais il n'a rien d'autre que ce que le destin a laissé pour lui et qu'il a eu l'aubaine de prendre. Tout revient à la Terre. Ça lui évite d'être envieux. Il prend ma main et je le laisse faire. Sa peau est sèche et fanée. Il dit doucement, car il parle souvent très bas, comme si rien ne devait jamais perturber la quiétude de la nature.
- Je veux que tu partes.
Je secoue la tête. Il la baisse.
- Il faut que tu découvres le monde. Il ne t'attendra pas. Je l'ai déjà vu, pas tout entier, mais j'ai vu ce que je devais voir. Maintenant, c'est ton tour. C'est au tour de tous les jeunes garçons et de toutes les jeunes filles. Va. Vis.
Je lui réponds qu'il a besoin d'aide et que je ne peux pas le laisser seul. Il ne m'écoute pas et chasse mes paroles d'un geste impatient de la main. Dehors, le vent souffle plus fort.
- Mon devoir est de te montrer ce que je ne vois plus, pas de te garder ici.
Il répète :
- Le monde ne t'attendra pas.
Alors ses yeux blancs, translucides me voient, traversent mon âme, la dénudent tendrement mais avec la fermeté un ordre, mon père me regarde, mon père me voit, et sur sa peau burinée de rides, l'amour laisse la trace d'un sourire.
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Les Héros Inconnus
General Fiction« Il savait vivre, Antonio. Et c'est ça qui l'a tué. » Lorsque le passé rejoint l'avenir, et que la quête de la vérité entraîne l'amour dans ses recoins les plus secrets.