XXXVI.

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La nuit semblait ne vouloir jamais se finir. Elle continuait de nous accueillir en son sein, dans le repli de sa sérénité, et son voile noir s'enroulait autour de nos deux corps penchés. Peut-être voulait-elle que nous ayons l'éternité pour parler et écouter, pour se voir et s'entendre, pour rattraper le passé, peut-être voulait-elle graver les mots de la vieille femme dans la pénombre du ciel, les écrire dans les constellations, et les faire apparaitre comme des mirages lorsque demain, à l'aube, tout deviendra rêve.

Il y eut une accalmie dans la parole. Le temps d'honorer le chemin des quatre femmes, leur exil, leur renaissance, la découverte du village, le temps de se souvenir de ces jours de silence où le passé faisait mal, quand sa cicatrice enflait sous la chair, dans la poitrine, près du cœur, et que les larmes venaient de loin, lourdes et salées, de ces instants d'ennui, d'immobilité, ces moments figés durant lesquels le ciel gris rappelait le marbre des tombes et le rire d'un enfant la perte des disparus.

La vieille femme prit ce temps-là pour croiser ses mains sèches et creusées, ses doigts se joignirent et déformèrent le fleuve de ses veines, elle ferma les yeux, leva la tête, son visage s'éclaira, elle ouvrit la bouche, murmura une prière, quelques mots adressés aux oubliés dont elle ne parvenait pas à se souvenir, elle s'excusa pour eux, elle s'excusa auprès du passé pour toutes les choses dont elle n'avait pas pu garder la trace, elle s'excusa auprès de la vérité pour ne pas y être objective, pour ne pouvoir offrir que sa version altérée par ses émotions, de ne voir qu'à travers un miroir déformant, elle pria pour tous ceux qui n'avaient pas été priés, elle garda les yeux fermés, resta ainsi, statique, les paupières tremblantes, le corps raide, et sa voix continua.

La nuit ne semblait jamais vouloir se finir, et sous les étoiles, la vieille femme parlait sans bruit.

Les Héros InconnusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant