XXIV.

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L'un et l'autre ne sont plus jamais revenus à l'auberge. Chaque jour, avec l'impatience fébrile de l'espoir, j'attendais de voir leurs silhouettes assises à une table, d'entendre leurs souffles, de regarder leur conversation une dernière fois, mais rien ne vint plus jamais. Il m'avait parlé, il m'avait ouvert son cœur et dévoilé ses appréhensions, mais désormais c'était fini. Un matin, pendant que le soleil se lève sur le fleuve encore sombre, je décide de quitter l'auberge. L'un a raison, il faut partir. La ville m'a appris ce que je devais apprendre, et il faut recommencer maintenant, retrouver le souffle, reprendre le rythme, se confondre dans la nature et s'abandonner entre ses mains de pierre.

Je pars de l'auberge, remercie la gérante, pousse une dernière fois la lourde porte de chêne, caresse en sortant une des pierres de la façade, elle est froide et humide, la rosée s'est étalée comme une brume dans les ruelles de la ville, et je la traverse, je la sépare, elle s'enroule autour de moi et s'envole sous mes yeux, disparait dans les hauteurs du ciel qui s'éveille.

J'avance vers l'est, en passant par les sentiers que j'ai si souvent escaladé. En regardant la ville d'en haut, en arrivant au sommet de la colline, en sentant l'odeur qui émane des feuilles mortes et de l'herbe mouillée, tout prend le goût du souvenir. Puis, je marche, et je marche encore, entre les forêts et les bois, les ruisseaux et les lacs, les plaines et les prairies. Il y a la nature, grande, vaste, immobile mais sulfureuse de partout, les longues averses qui tombent comme si le ciel était une mer immense, la procession lente et lourde des nuages bas et blancs, qui avancent péniblement en cachant le soleil, les orages qui remuent le sol et font exploser les étoiles, parfois le soleil, tendre mais froid, qui ne parvient pas à réchauffer mon cœur engourdi par la solitude.

Alors, je continue mon chemin, je traverse des villages et des hameaux minuscules. Quelques fois je m'arrête, lorsqu'une femme me sourit ou qu'un enfant passe en courant près de moi. J'y reste plusieurs jours, puis le départ vient, et la nature m'enlace de nouveau. Mais dans beaucoup, les visages sont si fermés et les yeux si éteints que j'accélère, je me presse pour quitter ces regards pâles de fantômes, ces morts qui bougent encore, et je fuis en courant pour échapper à leur malédiction, celle qui les a enterré dans ces maisons délabrées, les transformant en tombeaux de débris et de fissures, en monticules de pierre qui regardent sans le voir le paysage morne de la fin.

Un jour de pluie, je parviens au village. La statue de l'enfant est là, entre deux maisons en pierres blanches. Elle se dresse, fière et forte, devant les visiteurs, les contemple de sa grandeur de bronze, de sa brillance, et je n'ose détourner les yeux du regard immobile de l'enfant. Le lendemain, les nuages se sont dissipés, et il ne reste plus que quelques nuages pour se souvenir de l'humidité. Dans l'après-midi, le soleil est haut et brille fort. Je décide d'aller dans la maison de repos, de rencontrer Maria, de savoir peut-être, enfin, de trouver les réponses, de comprendre Antonio, de saisir les fragments du passé de mon père. L'espoir me rend fébrile, mes mains tremblent et mon cœur se secoue.

Je sors dans la rue, elle est vide et pleine à la fois, remplie de mes attentes et de mes rêves qui envahissent le sol, grimpent sur les murs, disparaissent sous les toits, vont jusqu'au ciel et redescendent le long des fenêtres en torrents incontrôlables.

Les volets rouges sont ouverts sur les vitres, et le ciel bleu, pur, se reflète sur le verre. Le soleil brûle ma nuque lorsque je sonne à la porte, puis qu'une femme m'ouvre, son uniforme est vert clair, elle a des tâches de rousseurs sur les mains, je lui demande si je peux voir Maria, je viens de la part de son fils, elle me dit de la suivre, elle me guide à travers les étages, elle ouvre une porte peinte en blanc, la lumière m'éblouit un instant car la fenêtre est ouverte et que les rideaux volent dans le vent, la mère de l'un est là, assise, calme, paisible, et elle regarde la vie.

Les Héros InconnusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant