VII.

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Je décide de quitter la région. Je veux partir maintenant, m'éloigner le plus possible. Mon destin n'est pas ici, je pense en dépassant l'église où carillonnent les cloches de l'après-midi, dans une ville que je n'ai jamais vu et qui pourtant ressemble à toutes les autres villes. Le temps est clair, le ciel est dégagé, je suis seul et tout est en paix. Je ne suis parti que depuis quelques jours, mais j'oublie déjà le visage de mon père. Seul reste, ancré dans ma mémoire comme tatoué sur ma peau, le souvenir de son corps tourné vers la fenêtre, et lui baigné de lumière, être céleste et inaccessible.

Je marche encore, sors de la ville, m'avance à travers la plaine. Un sentier monte vers les hauteurs. Je m'y engage, laissant dans mon dos la ville et l'église qui sonne sur la place déserte.

Mon sac est lourd, mes chaussures heurtent les monticules de terre, de la sueur ruisselle désormais sur mon front, je sens sa moiteur sous mes aisselles, dans mon dos, sur mes paumes. Je dépose une pierre ronde et plate sur un cerne lorsque je parviens sur le plateau le plus bas. Il me faudra plusieurs mois de marche pour accéder aux montagnes. Seul, j'ai peur de m'y aventurer. Elles sont impitoyables, les neiges éternelles. Et les hommes qui osent les défier sont des fous. Certains y laissent leurs vies, d'autres n'ont pas cette chance. Les montagnes prennent tout, englobent l'homme, le rendent fou, hargneux, hagard comme une bête sauvage, puis le relâchent dans la vie, le jettent contre d'autres hommes qui ne comprennent pas, comment, pourquoi, mais il n'y a plus de raison chez personne.

Je passe la nuit dehors. Il ne fait pas froid. Le lendemain, je recommence à marcher. J'essaye de ne pas trop penser à lui, ni à sa décision. Ne pas oublier, mais ne pas y penser constamment. Je dois marcher. Je dois avancer. Je dois voir et apprendre. Mon père l'a dit, je dois grandir et m'enrichir du Savoir, le vrai, le grand, le pur.

Il n'y a plus que des champs autour de moi. Je continue de marcher. Parfois, au détour d'un sentier, je m'arrête, retire mes chaussures et masse mes pieds gonflés. Puis, je repars.

Et alors, tout se noie dans le rythme de mes pas.

Les Héros InconnusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant