XVI.

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La neige commence à fondre, peu à peu l'herbe l'engloutit, et il ne finit par rester plus que ces étendues vertes, ces plaines pentues encore gelées des températures des montagnes, et les tiges cristallisées qui craquent sous nos pieds. Après plusieurs jours descente à longer les plus hauts plateaux, nous finissons par arriver dans un village isolé. Quelques maisons côtoient un cimetière, il fait beau et les gens sont dehors, les habitants semblent tous figés dans le temps, leurs visages fatigués de vieillards immortels nous regardent passer un œil lasse, leurs peaux sont ridées comme si l'empreinte éternelle de l'âge avait tracé des sillons entre les plis, trois d'entre eux plus que les autres, ils semblent s'enfoncer dans la pierre de la maison devant laquelle ils sont assis, ils s'enracinent et s'éternisent, et leurs regards nous suivent durant toute notre traversée.

Le guide me dit en chemin qu'après ce village, une grande plaine nous attend, puis une forêt, et que derrière elle, la civilisation revient, et qu'encore après, après s'être enfoncé dans les terres et perdus dans les forêts, la mer apparait, et que sa présence apporte un vent frais venu de l'est qui se répand sur tout le pays.

- Tu marcheras encore beaucoup si tu veux découvrir le passé de ton père. Ici, les gens ne parleront pas. En ville, peut-être. Mais dans les campagnes, les secrets ne se révèlent qu'à ceux qui les savent déjà.

A la nuit tombée, nous sommes parvenus au dernier gîte avant la plaine. Nous sommes seuls, et nous ne parlons pas. Dehors, le silence. Le vent des montagnes s'est tut, le temps s'est arrêté. Par un trou dans le toit je regarde le ciel, les étoiles sont loin derrière les nuages sombres, je me noire dans cette obscurité, je m'y perds, je distingue à peine les reliefs des poutres, tout est si sombre, mes yeux sont fatiguées de tenter d'apercevoir une lueur qui ne viendra pas, l'obscurité m'envahit, elle tourmente mon cœur et y plante l'épine du doute. J'ai peur soudain, que personne ne parle, que les gens m'ignorent et se taisent, que je ne trouve jamais la bonne ville, la bonne campagne, la bonne mer, que j'erre en vain dans des ruelles sombres la nuit et que je me perde dans mon esprit à l'aube, qu'il m'oublie et s'en aille, qu'il ne me pardonne pas de ne pas y être arrivé, d'avoir ruiné ma vie et d'avoir renoncé à construire ma propre histoire, que je découvre la maison vide ou son corps affaissé, desséché peut-être, mort sûrement, et que le trou de mon cœur ne puisse plus jamais être comblé.

Je pleure quelques secondes, quelques minutes peut-être, pour chasser ce géant noir de ma poitrine. Le guide remue sur le lit au dessus du mien, et je me demande s'il m'a entendu. Il ne dit rien, et j'essuie mes larmes avec mes paumes. Il a déjà son propre fardeau.

Lorsque je me tourne sur le côté, l'oreiller est mouillé.

Dehors, le silence.

La nuit se tait, retient son souffle.

Car quelque part, un père prie.

Et dans un autre quelque part, dans un autre pays, dans un autre univers, un fils entend.

Dehors, le silence.

Et l'espoir qui faiblit dans la nuit.

Les Héros InconnusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant