XLIII.

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« Ne vas pas par là, c'est dangereux. »

Il a continué d'escalader la falaise. Il faisait chaud, il suait dans ses vêtements, ses mains glissaient sur les pierres, mais il a continué, il ne s'arrêterait pas avant d'arriver en haut. Son ami le savait, il s'était résigné depuis plusieurs années déjà, il observait son dos et les muscles de ses épaules, tandis qu'Antonio gravissait la roche, toujours plus haut, toujours plus loin. Inarrêtable.

Cet ami, c'était ton père.

Le sommet n'était plus qu'à quelques mètres lorsqu'il s'est retourné vers celui qui l'attendait en bas. Il l'a considéré pendant plusieurs secondes, ils se sont regardés sans bouger, durant ce temps là ton père a vu que le bras d'Antonio tremblait mais avant qu'il ne puisse dire quoi que ce soit il a recommencé à monter, il s'est agrippé à la roche avec plus de force encore, c'était un roc, il est parvenu au sommet seul, sans aide, sans personne, et il a sourit.

Il s'est levé, s'est placé tout au bout de la falaise, elle n'était pas très haute pourtant il voyait loin, l'horizon s'étalait tout autour, long et sinueux, bleu et paisible. Il a ouvert les bras, les a tendu dans la lumière de l'après-midi, le vent l'a retrouvé, il l'a accueilli et l'a célébré, Antonio a rit encore, plus fort, plus longtemps, ton père le regardait d'en bas, pas une fois il ne l'avait quitté des yeux, peut-être avait-il peur qu'il ne tombe, ou peut-être était-ce la symphonie de ses bras et de ses jambes qui courrait sur la pierre qui l'hypnotisait, il ne savait pas, au fond il ne voulait pas savoir, il le regardait et à cet instant Antonio a dit d'une voix solennelle :

« Je vois tout d'ici. Je vois le passé et l'avenir. Tu l'aurais vu aussi si tu étais monté. Mais tu es en bas. Nous ne sommes pas si loin, pourtant nous sommes seuls tous les deux. »

Et le vent qui descendait jusqu'à ton père a apporté la tristesse dans la voix et la peur dans le geste, Antonio a refermé les bras, il s'est accroupi devant le soleil, il n'y avait plus de fierté chez lui, seulement le doute, et en le voyant ainsi replié sur lui-même ton père est monté. Lui aussi a gravi les aléas de la roche, il s'est accroché aux fissures, il a gardé les yeux droit vers le ciel et le visage de son ami qui se détachait des nuages, il y était presque, le sommet était là, Antonio lui a tendu la main, elle était grande et abimée, il l'a prise et l'a serrée.

« C'est la première fois que tu me rejoins. Je suis heureux que tu l'aies fait. »

Antonio le regardait. Le sourire était revenu. Plus timide, plus ténu, mais leurs mains se touchaient toujours. Ton père a souri aussi, il a répondu à voix basse :

« Maintenant je suis là et nous ne sommes plus seuls, alors asseyons-nous et admirons l'horizon. »

Ils se sont tournés vers le soleil, ton père a vu la mer végétale qui s'enfuyait dans les plaines, le radeau du village qui subsistait entre les vagues d'arbres et de buissons, l'écume des forêts qui s'amassait vers le large, il a contemplé cet océan dans lequel il vivait, il a murmuré que c'était beau, Antonio a dit oui, ils se sont regardés à nouveau parce qu'ils étaient là, ils étaient ensemble, les yeux d'Antonio brillaient de la lumière du soleil, ton père s'est levé, il a ouvert les bras lui aussi, il a crié à la falaise, il offert au vent sa joie et sa force parce qu'il y était arrivé, il avait battu la falaise, il n'avait pas renoncé, il avait gagné contre la pierre grise et glissante. Il s'est calmé, il s'est rassis près d'Antonio, il l'a remercié, son visage était toujours tourné vers la plaine infinie, l'autre garçon lui a demandé pourquoi, ton père n'a pas répondu.

C'était un merci à la vie, qui ne contenait pas d'explication, pas de sens, pas de raison, seulement le timbre de sa joie et l'amertume qui glissait au loin, il répétait merci, il le disait haut et fort, il voulait que tous l'entendent, que le village en soit submergé, à cet instant il était fier, il se sentait pur, il se croyait guéri, il ignorait encore que demain serait dur et aride, qu'il aurait mal, qu'il ne dormirait pas cette nuit non plus, que sa bataille était vaine, qu'à trente ans il serait brisé par le vent, rompu, cassé, il ne savait pas qu'il trahirait son ami le plus fidèle et qu'il lui volerait son regard, il ne savait rien.

Le soleil brillait dans ses yeux, et près de lui, ton père voyait encore.

Les Héros InconnusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant