VI.

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Je descends dans le village, en passant par le sentier qui surplombe la mer. Le soleil est haut désormais, et il inonde la vallée d'une lumière blanche et pure. La mer brille, calme, douce, apaisée. Mon malheur lui est étranger, elle que rien n'atteint, qu'aucune préoccupation ne secoue. Soudain, en la voyant ainsi, baignée de cette lueur diffuse, elle me rappelle mon père et son halo de cheveux blancs autour de son visage serein. Je pleure sans m'en rendre compte. Des larmes silencieuses coulent lentement sur mes joues et déposent un gout salé dans ma bouche, parce que je sais que je ne peux plus revenir, qu'il ne m'acceptera pas dans l'enceinte de la maison, que tout retour en arrière est impossible tant que je n'aurais pas livré au monde mon âme, mon cœur et mon esprit.

La poussière se mélange à mes larmes et laisse des traînées d'ocre qui parcourent ma peau. Les premiers toits pentus apparaissent à l'horizon, et j'essuie mes joues d'un geste vif, presque honteux. Je croise trois vieillards assis sur un banc de pierre, devant la maison d'une lingère. Ils me saluent, je souris, mais mon visage est crispé.

Le village est calme, les enfants jouent sur la place, les mères discutent entre elles, assises sur le rebord de la fontaine, et j'adresse une prière à l'arbre immense, vaste chêne majestueux, aux racines épaisses comme des troncs, qui ombrage la place et veille sur le village. Ses feuilles s'agitent un instant, ondoient dans le ciel, et je sens que dans mon cœur, l'espoir revient.

Je marche jusqu'au port. Les marins ont déjà installés leurs stands, et ils attendent patiemment. L'un deux m'aborde, me présente les poissons frais aux yeux vitreux qui reposent dans la glace, et sous sa moustache parsemée de poils gris, j'entrevois la lueur d'un sourire. Mais je n'ai pas d'argent pour acheter ses poissons, et je repars.

Il faut que je m'éloigne, que je continue ma route vers le Nord, traverser les montagnes, peut-être, ou aller vers la mer, parcourir les déserts, m'enterrer dans le sable ou dans la neige et y reposer ainsi, conservé pour toujours.

Je dis à voix haute :

- C'est difficile de se livrer au monde.

Mais seul le souffle du vent me répond.

Les Héros InconnusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant