XXXVII.

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Les quatre femmes et l'enfant se sont établis dans le village. Ils se sont installés dans la demeure des morts, ont nettoyé la poussière, ont rangé les chambres, la vie était là, elle est revenue lentement, l'enfant s'épanouissait au village, il riait souvent, mangeait bien, il avait l'air heureux. S'il n'avait pas eu cette infime lueur de tristesse dans le regard, alors les quatre femmes auraient pu l'affirmer.

Mais rien n'était sûr dans la rumeur du vent.

L'enfant grandit. Les quatre femmes vieillirent. La tante mourut en premier. C'était un soir d'hiver, long et noir, froid et solitaire, durant lequel les cœurs sont gelés. Elle reposait près du feu, enroulée dans une couverture, les dents claquant à cause des courants d'air qui persistaient, elle regardait les flammes, elle entendait le bois craquer, elle sentait la caresse de la chaleur, loin, très loin sur sa peau glacée. La nuit sifflait dehors. Les autres dormaient à l'étage.

Elle avait ressenti le besoin d'être seule, ce soir-là. Elle pensait à son mari. Au jour de son départ, et à tous ceux où il n'était pas revenu. Les flammes faiblissaient, le feu s'éteignait lentement. La couverture glissa sur son épaule. Elle ne bougea pas pour la remettre. Le feu s'éteignit complètement. Ses yeux restèrent ouverts. Elle, figée. La vie était partie.

Durant l'automne de l'année suivante, la grand-mère du père du père d'Antonio rejoignit sa sœur. Elle fut enterrée à côté d'elle, et sa fille venait déposer des fleurs chaque jour. L'enfant grandissait encore. Il était devenu adolescent. Il se rendait souvent sur la tombe de sa grand-mère avec la femme qui était née au village. Ensemble, ils se promenaient dans les allées du cimetière, silencieux comme des ombres, respectueux comme des amis, ils lisaient les dates et les noms, doucement, du bout des lèvres, pour les faire exister encore un peu, pour raviver le défunt qui n'était plus là, et espéraient sans oser le dire que, plus tard, un homme et une vieille femme lisent à leur tour les noms inscrits sur les tombes.

Le jeune homme resta au village. Il voulait rester près de sa mère, et vieillir ici, sur ses terres qui l'avaient vue naître elle, sur ces sentiers qui l'avaient accueillie enfant, sur le flanc de la falaise désormais vert et prospère qu'elle avait si souvent contemplé lors des journées infinies et durant les nuits sans nuages.

Surtout, il était amoureux. La jeune femme était grande et riait fort. Il était intimidé par l'éclat dans ses yeux, par la force de son visage, par la fermeté de ses décisions. Il y avait chez elle, dans son regard, une ténacité infaillible, une volonté de se battre contre tout, de gagner envers et contre tous, de prouver qu'elle était là, qu'elle ne lâchait rien, et de survivre, enfin, de survivre à tout. Elle, aimait la douceur de sa voix, la longueur de ses mains, la fabuleuse tristesse qui se détachait de chacun de ses gestes comme une ombre et lui donnait l'impression de n'être que passager, et d'être, déjà, trop nostalgique pour cette vie, qu'il avait tout vécu à travers ses ancêtres et que son âme meurtrie ne pouvait connaître que cette délicate appréhension, ce souffle retenu à chaque instant, ces yeux humides, ces mains tremblantes.

Ils s'aimèrent tendrement, balancés entre ses peurs à lui et ses convictions à elle, rythmés par les nuits éveillées et les jours sans sommeil, lorsqu'ils se regardaient, s'effleuraient, une main lentement qui touche une épaule, la peau qui frémit, les yeux qui se baissent, un instant, remontent, le toucher des lèvres, la fraîcheur de la lune, le vent qui caresse leurs dos nus, leurs mains serrées, leurs corps découverts, le silence, une larme qui roule dans sa bouche, le calme, un regard, un sourire, la nuit, l'obscurité dehors, eux dedans, deux yeux dans les ténèbres, un mouvement, un baiser qui essuie la ligne encore brillante.

Après plusieurs mois à vivre ensemble, à alterner l'angoisse et l'amour partagé, la femme voulut un enfant. Elle désirait conserver une trace de leur amour, qu'ils élèvent un fils ensemble, lui partagent leur savoir, qu'ils soient trois, quatre peut-être, heureux, aimants et aimés. Mais plus au fond, à l'intérieur de ses craintes, elle voulait garder une effluve de l'homme qu'elle chérissait, le préserver intact, sauver ses habitudes, retenir son être, son âme, ses gestes, ses yeux, la texture de sa peau, le balancement de sa démarche, même la lueur dans ses yeux, pour peu qu'elle lui appartienne et que son cœur soit fondé sur celle-ci.

L'homme était contre. Lui ne voulait laisser aucune trace, être un fantôme, une ombre, un souvenir, et n'impacter que cette femme qu'il savait capable de surmonter sa perte. Il pensait que sa vie avait déjà trop d'impact, qu'il aurait du partir plus tôt, ne pas tarder autant, et s'en aller à l'aube, les yeux sur l'horizon, seul avec lui-même et le cœur plein de chagrin. Mais il était là, avec elle, dans ses bras, et il ne lui résista pas.

Il avait grandi sans père.

Son enfant saurait en faire autant.

Et la lueur dans ses yeux, lentement, irrémédiablement, s'épanouit.

Les Héros InconnusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant