2 | Lorsque la réalité détruit

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Point de vue Avery

❝ Telle la tourmente de ma vie, la danse est mon phare. Elle est ma triste réalité. 


À l'écoute de mon corps, de mes sentiments, de mon ressentit, je danse. J'apprivoise cette partie de moi-même si proche et souvent méconnue : mon propre corps. À travers des mouvements, simples au départ et progressivement plus complexes, je réapprends les lois naturelles du mouvement, principes fondamentaux qui régissent aussi bien le fonctionnement de mon corps que les mouvements de l'univers qui m'entoure.
J'apprends à regarder les formes dans tout ce qui vit et bouge autour de moi : les petits enfants dans leurs jeux, le vent dans les arbres, l'écorce des arbres et sa singulière parenté avec les traces de l'eau dans le sable, des herbes au fond de la rivière, ces rochers aux rondeurs maternelles, et ces autres qu'on dirait écorce, le vol des oiseaux, entre vivacité et majesté, l'éternelle transformation des nuages et la mer, au rythme lunaire, au flux et reflux berceau, dans ses impétueux jaillissements et son immensité. 

Regarder pour ensuite traduire ces rythmes essentiels dans mes mouvements, dans ma danse. Pour laisser ce souffle inspirer mes gestes et me mouvoir dans un espace neuf, plus ouvert. La musique est là, très présente. Vibration sonore qui, elle aussi, peut inspirer le mouvement, le porter. Harmonie entre le rythme, la mélodie, le pouvoir évocateur de la musique et le geste.

—  Mesdemoiselles, les cours d'aujourd'hui sont terminés, je vous souhaite une bonne fin de journée.

Essoufflée, je récupère mes affaires déposées à même le sol. Déçue de moi, je tente d'ignorer les regards qu'on me lance de droite à gauche. Cette ambiance de compétition qui trône ici, ne cesse de me décourager. Muette, je m'accroupis lentement sur le parquet chauffé. Les yeux baissés, je défais les rubans de mes pointes en silence. Je peux voir du coin de l'œil, certaines filles me lancer des regards provocateurs. Je déteste ça, cette école et toutes ces personnes que je dois supporter toute la journée. Pourtant, je me lève à contrecœur, quittant cette pièce où je peux m'évader sans avoir à supporter les ronchonnements de Tessa, ma colocataire. Mais avant que je ne puisse franchir le seuil de la baie vitrée menant au couloir principal, notre professeur nous interpèle.

— Demain après-midi, rejoignez-nous, monsieur Boyd et moi dans la salle de contemporain, pour un cours un peu spécial... 

Vraiment ?

Ce n'est pas dans les habitudes de Serena de déjouer les règles de cette école. Mis à part, le réfectoire, tout est ordonné. Les cours sont enchainés ponctuellement, les professeurs ne demandent que la perfection, de peur de ruiner la réputation de ce lieu. Si je pouvais le décrire en un mot, j'utiliserai "emmurer". Ici, je suis comme isolée derrière des murs qui continuent leur route vers le ciel. En venant ici, je cherchais la liberté et la légèreté. Je voulais me réveiller tous les matins et n'avoir qu'une envie : venir étudier la danse ici. Mais il faut bien que la vie fasse tout à sa manière, non ?

Celle-ci ne me sourit guère. Elle s'amuse à me pourrir, croquer à pleines dents la personne que je suis. Certes, j'aime danser, plus que tout même. Mais cette situation ne me correspond plus, pourtant j'en suis contrainte. Je lui dois bien ça.

— Pourquoi ? s'empresse de demander une fille.

Serena semble se radoucir quelques instants, affichant un sourire encourageant et rempli de volonté.

Sous Nos ÉtoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant