Chapitre 7

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Marie-Irène


Postée devant le miroir, j'observais mon corps sans vie. Cela faisait quelques jours que mon agression avait eu lieu, mais je n'arrivais pas à m'en remettre, à en parler. Rien que d'y penser, je fondais en larme. J'avais beau le toucher, il me semblait ne plus m'appartenir, ne voyant que des kilomètres et des kilomètres de peau.

Ma mère avait même voulu m'amener chez le docteur, pensant que j'étais malade. Je m'en voulais de la faire souffrir ainsi, la voir s'inquiéter était encore plus douloureux. Elle me forçait à manger mais je ne voulais pas. Un soir elle m'a crié au visage qu'elle était une mauvaise mère avant de courir se réfugier dans sa chambre en pleurant, ça m'avait fendu le cœur. Il me fallait juste du temps, enfin c'est ce que je lui disais.

Mon regard se détourna sur cette veste que m'avait prêté cet inconnu. J'en avais pris soin, espérant la lui rendre et éventuellement engager la conversation. Mais il avait disparu, mistérieusment. J'aurais voulu le revoir, lui parler. Je sais cela peut paraître fou, étant donné qu'il était allemand nazi, mon parfait ennemi, mais peu m'importait, il m'inspirait confiance, m'appaisait. J'en avais besoin.

Mes tickets de ration blottis entre mes doigts, je me dirigeais vers la ville. J'avais décidé de sortir ça me changerait les idées. Le temps était radieux.

Arrivée sur la place du village, je me plaçais dans la file d'attente devant la boulangerie.

Ce jour là, la milice était présente, elle demandait les papiers. Mince ! Je retournais ma veste, fouillant mes poches. Elles étaient vides. Non mais c'est une blague, qu'est-ce que je vais faire ! Un sueur froide traversa mon corps, je priai de toutes mes forces pour que tout se passe bien.

Un des agents s'avançait dans ma direction. J'étais foutue. Tous les regards se braquèrent sur moi, quand le policier m'embarqua dans le camion. J'étais seule assise à l'arrière, j'attendais.
Je ne sais ce que j'attendais, mais je le faisais. Le regard vide, j'observais les horizons.

Je reconnus immédiatement le poste. Le bâtiment était immense, rempli de vie. Quand je fus à l'intérieur, je pris le temps d'admirer l'espace d'un instant, les pièces. Elles étaient toutes richement décorées, murs, sols, bureaux et j'en passe.

Je pris un grand inspiration, j'avançais avec assurance. Le jour où j'avais rejoint la résistance, on nous avait préparés à cette situation, paraître impassible, ne montrer aucune peur, aucune crainte, je connaissais ces étapes par cœur. Lors d'un éventuel interrogatoire, il fallait paraître innocent, faible, et surtout ne jamais parler de la résistance, jamais.

Le policier s'arrêta, un de ses collègue lui fit signe de le rejoindre. Je restai passive scrutant chaque détail, cherchant une information qui pouvait m'intéresser. Mais il n'y avait rien.

Dans le couloir d'en face je pouvais apercevoir l'agent et un officier allemand me dévisager.

Une voiture se gara dans l'entrée. C'était deux allemands. Ils rentrèrent tout en se chamaillant. Je ne pouvais décoller mes yeux de l'un d'entre eux. C'était l'inconnu que j'attendais tant. J'étais soulagée de le voir. Son coéquipier me fit un clin d'œil avant de me montrer du doigt. L'autre me fit un magnifique sourire. Je sentis mes pommettes devenir rouge écarlate.

Mais je fus vite rattrapée par la situation. Un homme m'attira dans une salle presque vide seulement munie de deux chaises. Mon cœur faisait des bonds dans ma poitrine. Je me répétais les étapes dans ma tête comme une comptine qui me donnait du courage. Je savais ce qui allait se passer et je le redoutais. Assis sur la chaise d'en face le policier commença l'interrogatoire :

- Nom, Prénom, Date de naissance, âge !

- Marie-Irène, Blanchard, née le 27 mai 1927, 17 ans. Répondis-je sur un ton monotone.

Il me semblait qu'il était agacé, contrarié. Son dossier entre les mains, sa tête penchée sur le côté droit, son pied qui tapait frénétiquement le calages. Il écrivait sur sa feuille toutes les informations qui pouvaient lui servir, tous mes faits et gestes. Il releva doucement la tête :

- Pourquoi vous promenez-vous sans vos papiers jeune fille ?

À vrai dire je n'avais pas d'excuse valable :

- Je les ais oubliés chez moi.

Il releva un sourcil et fis échapper un léger rire :

- Comment pourrais-je vous croire ? Qui me dit que vous n'êtes pas juive ou résistante ?

Je restais bouche bée, je ne savais comment me justifier :

- Il faut me croire sur parole.

Il pouffa de rire :

- Vous croire sur parole ? Non mais vous vous foutez de ma gueule. J'espère pour vous que vos papiers seront bien présents chez vous car j'ai déjà envoyé deux agents vérifier.

- Très bien. Fis-je calmement.

Puis il me laissa seule, répétant dans un murmure sarcastique :

- La croire sur parole, non mais elle rêve la gamine.

Soudain je pensai à ma mère, elle allait encore s'inquiéter. Je m'en voulais terriblement de la faire souffrir comme cela.

J'observais les tickets de ration entre mes doigts. Je n'avais pas eu le temps de les utiliser. Heureusement il nous restez les restes d'hier.

Les minutes passèrent et je commencais à m'ennuyer à mourir. La porte s'ouvrit, enfin. Peut-être que j'allais sortir de ce trou !

Il m'accompagna jusqu'au hall. Super tout s'était passé comme sur des roulettes, c'était relativement simple, peut-être trop simple.
Il regarda l'heure à sa montre, avant de lâcher un soupir :

- Qui serait disponible pour raccompagner cette charmante jeune fille chez elle ? Brailla-t-il dans la pièce principale.

Plusieurs mains se levèrent, suivies de commentaires, et de petits ricanements. Je me sentais mal à l'aise, observais, dévisageais, regardais sous tous les angles, sous toutes les coutures. J'avais envie de partir, fuir à toutes jambes. Une voix que je connaissais bien se démarquait :

- Je m'en occupe, elle sera en sécurité avec moi.

- Bien sur colonel ! Répondit l'homme à mes cotés.

Je ne pouvais pas en croire mes yeux. Tétanisée, je n'osais plus bouger. Les images de la soirée du bal repassaient en boucle dans ma tête, j'avais l'impression de la revivre une seconde fois. Il s'avançait, je reculais. Son visage était toujours aussi terrifiant, j'avais peur de lui, et de ce qu'il pourrait faire.

Une pensée me traversa l'esprit :

"Mais si il sait où j'habite, il reviendra pour s'en prendre à moi ou pire à ma mère."

J'étais bloquée. Ne voyant aucune issue, je me mis à paniquer.

Il me semblait chuchoter le mot "non" le plus fort que je pouvais à m'en déchirer les cordes vocales. Je poussais de toutes mes forces ces corps qui s'approchaient, me collaient. Ma vue se brouilla, ma tête tourna. Prise par un affreux vertige, je lutai pour ne pas chuter. Puis se fut le noir.

Tu tomberas avec moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant