Chapitre 10

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Hans


Je ne pouvais arrêter de penser à Marie-Irène, son visage était tatoué dans mon cerveau. J'avais envie de la revoir, de passer du temps avec elle. Je songais à son sourire qui me déstabilisait tant. Franz était à mes cotés, une lueur de malice animait son regard :

- Mec il te reste un peu de bave, là.

Il me fit une pichenette au coin de la lèvre.

- Je sais pas à quoi tu penses mais ça a l'air de te faire de l'effet, continua-t-il.

Il était lourd mais je l'aimais bien :

- Putain mais t'es chiant et si tu veux savoir je t'imaginais fermer ta gueule. Ah qu'est-ce que c'était bien un monde où tu serai muet, le paradis.

Il me balança son journal au visage, avant d'éclater de rire :

- Non mais tu rêves, même si ça arrivait je trouverais toujours un moyen de t'agacer. Mon chou !

- Ouais, si tu le dit ma choupinette ! Ajoutai-je dans un rire.

Il fit un mime de bisou avant de rire de plus belle.
Gustav passa à côté de nous, suivit d'autres :

- Hey, les branleurs vous allez fermer votre gueule et venir ! Fis Erwin en nous incitant à le rejoindre.

- Oui on arrive tout de suite ! Répondit Franz.

Une réunion, encore. On passait notre vie à en faire. Il y en avait une par jour et parfois on avait la chance d'en avoir trois.

Après cette journée de travail je n'avais qu'une envie me détendre. Ce soir là j'allais dîner chez la douce Marie-Irène. Il fallait que je me prépare. J'avais choisi de porter mon uniforme tout propre, accompagné de mes chaussures de ville. Cela me donnerait une allure plus élégante. Mes cheveux étaient bien coiffés sous mon képi, je m'étais aspergé d'eau de Cologne.

On m'avait dit que ça plaisait aux femmes. J'avais même acheté un bouquet de fleurs pour l'occasion. C'était des iris les fleurs préférées de ma mère, j'espèrais qu'elles lui plairaient.

Devant le seuil de sa porte j'attendais, le bouquet à la main. Mes mains étaient moites et collaient l'emballage. Je n'avais jamais autant été stressé, angoissé. Cela me rappelait mes premiers rendez-vous. Elle m'accueillit de son sourire radieux :

- Bonjour, je vous en prie entrez !

Je la remerciai avant de lui tendre les fleurs dont j'avais pris soin. Elle les renifla doucement avant de courir à la cuisine, les mettre dans un vase. Sa maison était charmante. Décorée, nettoyée, astiquée. La table était mise, les plats étaient disposés sur la nappe et l'odeur qui en sortait me faisait saliver. Au menu soupe de légumes et pommes de terres rôties. Rien que d'y penser me donnait l'eau à la bouche. Elle s'était surpassée. Je savais bien que pour les civils, il était difficile de trouver de quoi se nourrir et je m'en voulais de l'avoir laissée faire tout cela dans le but seul de me faire plaisir. Une soupe m'aurait suffit amplement tant que j'étais à ses côtés.

Elle m'incita à m'asseoir.

Je l'observais avec attention, le moindre de ses gestes dégageaient tant de grâce et d'élégance qu'il ne pouvait qu'être admiré. Je portais la cuillère remplie du breuvage près de mes lèvres, une douce chaleur s'en émanait. J'en avalai une gorgé, puis deux puis trois. Elle était délicieuse.

- Il vous reste un peu de soupe là.

Fit-elle en m'indiquant le haut de ma lèvre. Elle me regardait avec amusement, je me sentais rougir.

Une voix dans le couloir se fit entendre. C'était comme un grognement d'animal. Je la regardai avec interrogation. Nous n'étions pas seuls ? À peine avais-je tourné la tête que j'aperçevus une femme d'un certain âge habillée de haillons. Elle me dévisageait de ses yeux vitreux. Marie-Irène se leva avant de se diriger vers cette mystérieuse femme :

- Maman je te présente Hans. Fit-elle à l'attention de sa mère

- Hans je te présente ma mère. Maintenant que les présentations sont faites, nous pouvons enfin passer à table tous ensembles.

J'étais sidéré : cette femme détruite par la vie, la maladie avait enfanté cette douce créature qu'était Marie-Irène ! Je restais bouche bée. Je me levai pour saluer quand son regard se posa sur mon insigne. Elle se figea, son visage se décomposa. Sa bouche s'ouvrait se refermait dans des claquements répétitifs :

- Jeune fille comment oses-tu me ramener un "Sale Boche" à la maison tu n'as pas honte ! Tu n'as aucune pensée pour ton père qui a été tué par l'un d'entre eux.

- Mère je t'interdis de lui parler sur ce ton, c'est notre invité.

Mon regard jonglait entre les deux femmes, je ne savais où me mettre. Il me fallait peu pour comprendre que je n'étais pas le bienvenue. Mais à quoi je pensais franchement pour croire que des français pourraient me voir autrement que comme un monstre, un assassin. Mais quel imbécile étais-je !

Je m'apprêtais à partir quand une main se glissa dans la mienne, m'empêchant de bouger. Cette action me détendit d'un seul coup je me sentait léger. J'aurais voulu m'abandonner à sa paume si douce et délicate. Mais je ne pouvais les laisser se disputer par ma faute, alors à contre cœur je me retirais de cette étreinte avant de sortir sans regarder derrière moi.

Plus j'avançais plus je regrettais. Je me sentais lâche, j'aurais tellement voulu que ça se passe autrement. Une voix m'interpela, je me figeai sur place. Le visage de Marie-Irène me faisait face. Elle me souriait je ne pus m'empêcher de lui rendre. Elle intercepta une larme au coin de mon œil :

- Je suis tellement pardon pour ce qui se passer.

Elle l'avait prononcé en allemand. Je m'apprêtais à lui embrasser la main comme à mon habitude mais elle avait choisit de le faire autrement, en déposant ses lèvres sur une de mes joues avant de repartir chez elle.

Je me sentais rougir. Jamais une femme n'avait pris cette initiative, mais je ne regrettais pas son acte au contraire. J'aurais voulu l'arrêter, lui montrer mon affection, mon attirance mais je n'en avais pas le courage. J'avais beau avoir du mal à mettre un mot sur mes sentiments, je savais ce que je ressentais pour elle. Rien que d'y penser je me transformais en gimauve. Alors je n'avais pas d'autre choix que de me défiler.

À peine avais-je eu le temps de repartir que j'entendis un cri strident me percer les timpans en direction de sa maison. Je m'empressai de la rejoindre dans un élan d'adrénaline.

Tu tomberas avec moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant