Chapitre 1 : Torture bolognaise

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Partie I : Les Ailes de Gabriel

La pièce était large, spacieuse, très sombre. Toutes les ouvertures étaient obstruées par des planches, réduisant la quantité de lumières à de minces et rares filets irréguliers. Des quantités de poussières s'entassaient sur toutes les surfaces. Se perdant dans la contemplation des grains de poussières virevoltant dans la lumière, des dizaines de personnes étaient roulées en boule sur le plancher crasseux. 

Ils étaient alignés en deux rangées le long des murs de la pièce dans des cages individualisées, conçues pour accueillir un individu debout, dépouillées de tout, suffisamment éloignées entre elles pour qu'aucun contact humain ne soit possible. Ils ne produisaient pas plus de bruit qu'un léger gémissement de temps à autre, vivement réprimé par un brusque coup sur le grillage. Affamés, déshydratés, parfois couverts de sang séché, ils n'avaient plus l'apparence d'êtres humains mais de bêtes misérables, pitoyables, désespérées. 

Leur tortionnaire les surveillait avec détachement depuis l'une des extrémités de la longue salle à moitié enterrée. L'ampoule dénudée au-dessus de la porte, à côté de laquelle il avait disposé sa chaise, projetait difficilement sa clarté maladive jusqu'aux premières cages. 

Le jeune homme trompait son ennui en faisant des rondes régulières entre les cages, réveillant ceux qui parvenaient à se reposer en faisant claquer sa matraque contre le fer du grillage. Les prisonniers ne se donnaient même plus la peine de l'amuser, à supplier qu'on les laisse sortir, qu'on les nourrisse, qu'on leur donne à boire. En général, au bout du quatrième jour, ils restaient prostrés sur le mètre carré de bois sali de leur sueur et de leurs larmes. 

Il y en avait un pourtant, étrange, qui n'avait pas bronché. On le lui avait amené cinq jours plus tôt et pas une seule plainte, pas un seul gémissement de douleur, pas un soupir ne lui avait échappé. Il avait été relégué sur ordre du Maître dans le coin le plus sombre, et on avait renforcé la serrure de sa cage de plusieurs chaînes. 

Cet homme n'avait pas l'air bien dangereux. Ses cheveux blancs retombaient, graisseux et trop longs, sur des yeux clairs. Il n'avait jamais daigné jeter un regard à son geôlier, peu importait le nombre de coups qu'il lui donnait. Il était sale, couvert de sang séché et probablement au bord de l'évanouissement mais il s'obstinait à rester agenouillé, tête baissée en direction du mur, les mains en prière. 

- Salut la compagnie ! 

Il se tourna brusquement vers l'entrée. Personne ne venait jamais, sauf pour amener un prisonnier ou quand le Maître considérait que l'un d'entre eux avait été suffisamment puni. 

- Ne faîtes pas attention à moi, je ne fais que passer. 

Une jeune femme, un panier à pique-nique sous le bras, lui accorda un grand sourire. Ses cheveux noirs drapaient ses épaules avec majesté et ses dents l'éblouirent, leur blanc éclatant tranchant avec le bronzage étudié de sa peau. Ses yeux étaient cachés derrière de larges lunettes de soleil qui lui mangeaient la moitié du visage. 

Il dégaina son arme : 

- Comment vous êtes entrée ? Vous n'avez rien à faire là ! 

- Je suis passée par la porte. Et je fais ce que je veux. Il est par là ? Merci ! 

Elle saisit le dossier de la chaise à côté de la porte et la traîna derrière elle, le dépassa sans faire plus attention à lui et rejoignit l'obscurité du fond de la pièce. Elle disposa la chaise en face de la porte de la cage. Le prisonnier ne se retourna pas et continua sa prière. 

- Comment ça va Gaby ? J'ai entendu dire que t'étais là et comme je passais dans le coin, je me suis dit : "Mais je pourrais aller rendre visite à mon frérot chéri ?". Et me voilà ! 

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