Chapitre 21 : Pour la rendre heureuse

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Maëlle n'était pas aveugle : elle voyait bien que les regards que lui lançaient Lucifer ne lui portaient pas la moindre tendresse. Elle se retournait de temps en temps pour vérifier que la petite fille ne se perdait pas dans le dédale de couloirs de l'Enfer, sans cacher son agacement. 

Maëlle essayait de se convaincre que tout allait bien. Sa mère était sa mère : elle n'était pas démonstrative. Toutes les mamans que Maëlle observait discrètement à la sortie de l'école serraient leurs enfants dans leurs bras avec de grands sourires. Lucifer devait être heureuse d'être avec elle, même sans le lui avouer. 

Et Maëlle voulait la rendre heureuse. 

Lucifer avait cette façon de la regarder de temps à autre, la détaillait de la tête aux pieds en fronçant les sourcils, puis détournait le regard avec un sourire qui n'en était pas vraiment un. Ce sourire était amer et si triste que Maëlle avait envie de la prendre dans ses bras pour la rassurer. 

Elle ne pouvait pas faire ça - parce qu'elle était presque sûre que Lucifer la repousserait avec une grimace de dégoût - mais elle pouvait passer du temps avec elle et essayer de la rassurer par d'autres moyens. 

Lucifer tressaillit lorsque Maëlle entrelaça ses doigts aux siens. Elle fixa leurs mains liées en pinçant les lèvres. Elle soupira en fermant les yeux, puis reprit son chemin sans faire de commentaire. 

Leur longue marche prit fin lorsqu'elles entrèrent dans le hall d'un casino. Certains regards s'accrochèrent à la petite fille avec étonnement. Maëlle ouvrait de grands yeux émerveillés, indifférente à l'attention qu'elle suscitait. 

Le casino reluisait d'or. Du marbre jaune pâle au plafond ouvragé, toutes les surfaces reflétaient la lumière des lourds lustres suspendus au-dessus des machines à sous. Les tables de jeux cuivrées étaient encerclées de hautes chaises métalliques. Lucifer ignora l'espace d'échanges de jetons et fila directement vers le centre de l'immense salle. Là, un comptoir de bar brillant de mille feux avait été déserté par les clients à cette heure de la journée, mais pas par ses employés et leur patronne, qui se servait un verre de champagne pour se remettre de tout l'alcool ingurgité la veille. 

- Asmodée ! Tu me donnes accès au toit ? 

- Bonjour Lucifer, répondit-elle en massant ses tempes douloureuses. Depuis quand ramènes-tu des enfants sous mon toit ? 

- Depuis que je veux leur montrer la vue depuis ton toit. 

Asmodée vida son verre en faisant mine de réfléchir. Evidemment, elle savait que la gamine était la progéniture de Lucifer. Tout ce qui concernait sa souveraine l'intéressait et Bérith n'avait pas été le seul à avoir été approché pour enlever l'enfant. Il avait simplement été le seul suffisamment stupide pour accepter. 

La plupart des démons n'avaient pas pour vocation d'être parents. Les demi-démons étaient généralement livrés à eux-mêmes, ou à leur parent humain pour les plus consciencieux. Leur enveloppe humaine avait un mal fou à contenir la part inhumaine de leur être, ce qui ne leur laissait jamais beaucoup de temps à vivre s'ils ne bénéficiaient pas de l'aide d'entités surnaturelles. 

Mais pour les démons qui souhaitaient procréer, c'était une toute autre histoire. Il arrivait que les anges interviennent tant que le demi-démon n'était pas trop dangereux, mais le parent démoniaque pouvait tout aussi bien menacer de mort qui oserait s'approcher trop près de sa descendance et la garder cloîtrer à l'écart de tout danger potentiel. 

Lucifer avait clairement choisi la seconde option. 

Mais Lucifer, sa très chère Lucifer, ne se résumait pas à deux options. Elle était beaucoup plus que ça. Si garder la petite en vie était dans ses projets, Asmodée ferait tout ce qui était en son pouvoir pour lui montrer son soutien. 

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