Chapitre 23 : Les Assassins

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Lucifer le guida jusqu'à une zone boisée à l'écart de la ville, où les arbres se serraient les uns contre les autres pour se protéger de l'extérieur. Elle lui donna les coordonnées précises de la demeure qu'il était censé trouver dans les environs et le laissa seul, prétextant avoir mieux à faire que de le regarder travailler. 

Il étudia attentivement les lieux. La végétation lui offrait un avantage certain, qu'il mit immédiatement à profit. Assis sur une branche, il entama une minutieuse observation de sa cible. 

La maisonnette s'élevait sur deux étages et semblait avoir été construite plusieurs dizaines d'années auparavant. Elle devait pouvoir accueillir jusqu'à une dizaine de personnes mais Valefor était certain de n'avoir vu qu'une seule silhouette se mouvoir derrière les fenêtres. 

Le bâtiment était entouré de plusieurs mètres de terrain plat et, si le jardin créé était très agréable à regarder, Valefor y voyait surtout un obstacle à son infiltration. Les nombreuses fenêtres étaient autant de postes d'observation d'où il pouvait être aperçu. 

La première fois qu'il vit Lilith en chair et en os, son corps fut parcouru de frissons. Elle n'avait pas changé d'apparence depuis leur dernière rencontre ; son contrat la protégeait de la vieillesse. Mais son regard, lui, s'était assombri avec les années. Ses iris vertes, autrefois pétillantes de vie et d'enthousiasme, avaient perdu de leur éclat. Plus aucune émotion ne les animait, mise à part une lassitude effrayante.

Voler Lilith pouvait s'avérer plus simple que prévu. La lampe de ce qu'il devinait être sa chambre s'éteignait peu de temps après la tombée de la nuit et les rideaux ne s'ouvraient de nouveau que tard dans la matinée.

Si Lilith dormait en excès, Valefor n'allait pas s'en plaindre. Cela lui laissait un temps précieux pour localiser le coffret qui contenait son contrat. Lucifer lui en avait fourni une description suffisamment détaillée pour qu'il le reconnaisse au premier coup d'œil. 

Une nuit, il accrocha une corde à la branche de son arbre et envoya l'autre extrémité s'enrouler autour de la cheminée ancienne qui crevait le toit. Sans poser un pied sur le sol, il traversa le jardin en funambule professionnel et se glissa à l'intérieur du conduit. 

La cheminée n'avait pas abrité de feu depuis une éternité et il en sortit aussi propre qu'il y était entré. Pièce par pièce, en reposant soigneusement chaque objet à sa place, il fouilla chaque recoin.

Il ne se faisait pas beaucoup d'illusions : il y avait peu de chances qu'il trouve un bien aussi important dès la première nuit de recherche, d'autant plus qu'il se trouvait probablement dans la chambre principale.

Le salon, la salle de bains et la cuisine étaient impeccablement entretenus. Ils mélangeaient d'une manière intéressante les styles et les époques, une statuette égyptienne antique à côté d'une bouilloire électrique, des enceintes dernier cri adossées à une tapisserie médiévale.

Le rez-de-chaussée examiné, Valefor monta prudemment les marches qui menaient au premier étage. Il identifia la porte à ne pas franchir et en ouvrit prudemment une autre.

Un nuage de poussière s'envola dans le clair de lune que les vitres laissaient entrer à flots. Valefor resta sur le seuil, hésitant. S'il posait le pied sur la couche grise qui recouvrait le sol, la seule solution pour effacer ses traces serait de tout nettoyer. Maintenir la poussière à sa place relevait de l'impossible.

Il laissa la porte entrebâillée et s'intéressa aux autres pièces de l'étage. Toutes manifestaient le même état d'abandon avancé, poussière saturant l'air à l'odeur de renfermé. Les lits étaient faits, les rideaux grands ouverts, des jouets abandonnés sur le plancher, des livres soigneusement rangés sur les étagères. Ces chambres pouvaient accueillir immédiatement n'importe quel enfant. Il suffisait d'un grand ménage.

Ces lits étaient vides depuis bien longtemps.

Valefor referma les portes une par une. La boîte qu'il cherchait était censé contenir les biens les plus précieux de Lilith. Elle ne l'aurait pas cachée dans une chambre d'enfant, sans jamais y mettre les pieds. 

Sa première théorie sur la localisation de sa cible était la bonne : la chambre principale.

Il remonta sur le toit par le conduit de la cheminée, détacha la corde et la renvoya se camoufler dans son arbre d'observation. Il gardait toujours sur lui une corde de secours, pour ce genre de situation. Il l'attacha solidement à la cheminée pour une fuite rapide plus tard, le long de la façade. Il ne lui restait plus qu'à patienter.

Bien après l'aube, Lilith sortit du lit. Elle laissa la porte de sa chambre ouverte et descendit les marches en traînant les pieds. Valefor s'infiltra par la fenêtre qu'elle avait l'habitude d'ouvrir au réveil. Le travail du démon des voleurs était toujours facilité par ce genre de routine. Se préparer à toute éventualité faisait partie du travail, mais profiter du prévisible aussi.

La pièce était petite, en conséquence peu meublée, et la fouille fut brève. Sous le lit, entre deux moutons de poussières, deux rayures sur le bois du plancher laissaient supposer de fréquents mouvements d'un objet rectangulaire. La boîte trônait dans l'obscurité, l'ébène qui la constituait curieusement intact après des siècles d'existence. Valefor s'en empara avec avidité.

Sur le couvercle était gravée dans une langue ancienne qu'il n'avait pas tout à fait oubliée : "Ouvrez-moi à vos risques et périls". Valefor força la serrure sans états d'âme, infiniment curieux.

Il fut déçu du contenu. Quelques photographies d'humains qu'il ne connaissait pas, des babioles pour enfants sans grand intérêt, des lettres entourées d'un ruban ; il s'attendait à plus intriguant de la part de la mystérieuse et dangereuse Lilith.

Il trouva son bonheur finalement, sous la forme d'un parchemin presque neuf, couvert de symboles que lui-même ne parvenait que très difficilement à déchiffrer. Il reconnut le nom de Lilith en en-tête et l'écriture de Lucifer. Il avait trouvé le contrat. Il l'empocha en se félicitant mentalement. Lucifer aurait son contrat avant la fin de la semaine ! Peut-être lui exprimera-t-elle un brin d'admiration ? 

Sans plus tarder, il reposa la boîte à sa place et repassa par la fenêtre en se hissant à la corde qui pendait le long de la façade. Lilith devait s'activer dans le salon, encore inconsciente du vol, et lorsqu'elle découvrirait la corde à sa cheminée, il serait déjà loin, à l'abri. 

La facilité de son entreprise le surprit presque. Tout s'était très bien déroulé. Trop bien ? 

Un flash blanc l'aveugla soudain. Il retint une exclamation de surprise et commença à descendre la façade à toute allure, les yeux fermés. Ce n'était pas la lumière du soleil. Un ange en colère alors ? Mais qu'est-ce qu'un ange faisait ici ? Il accéléra la descente. Pourquoi avait-il l'impression de monter ?

Les murs de la maison se dérobèrent sous ses pieds. Il rouvrit les yeux, le visage tourné vers le sol. Il remarqua immédiatement que sa corde n'était plus attachée à la cheminée, qui se trouvait actuellement plusieurs mètres en contrebas.

Les mains de Valefor lâchèrent la corde. S'il tombait sur le toit, il pourrait encore descendre les deux étages sans faire face aux anges, même si cela signifiait abîmer ce magnifique corps.

Il aimait son corps. Il l'avait longuement exercé pour le plier à sa profession exigeante. Tous ses efforts ne seraient réduits à un tas de poussière, un amas d'os et de chair sur le chemin en contre-bas. 

Un coup inattendu atteignit son flanc et le décala de plusieurs mètres dans les airs, loin de la sécurité des tuiles.

Il ne put s'empêcher de fermer les yeux lorsqu'il devint évident qu'il ne s'en sortirait pas. La sensation de chute lui coupa le souffle. Malgré la nuit noire, une forte lumière força le barrage de ses paupières, qu'il maintint résolument fermées. 

Il savait ce qu'il verrait : des plumes blanches, des visages sévères, un halo divin éblouissant. 

La corde qui s'éloignait toujours. 

Et la mort qui approchait, une épée angélique à la main. 

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