Chapitre 11 : Uriel

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De son côté, Gabriel s'était tourné vers celui qu'il considérait comme un puits de sagesse, celui qui gardait les secrets de tous dans des dossiers à leur nom, qui gérait toute la paperasserie et l'administratif du Paradis : son grand frère Uriel. 

Ce dernier, chargé de la connaissance de manière générale, s'était constitué un empire de cultures et de sciences, organisé par ordre alphabétique. Il passait le plus clair de son temps dans une immense bâtisse victorienne, truffée de caméras de surveillance, perdue au fin fond de la campagne. Il sortait rarement et personne ne lui rendait visite. 

Gabriel toqua doucement à la porte du manoir et patienta. 

- Qui est-ce ? 

L'ange sursauta à la voix sortie de nulle part, saturée de grésillements électroniques. Il repéra une petite caméra à l'angle de la porte. 

- Uriel ? C'est Gabriel. Tu peux m'ouvrir ? Il faut que je te parle. 

Silence. Un déclic l'informa que la porte se déverrouillait. Il entra. Il s'était attendu à un grand hall de marbre, des tableaux aux murs, de grands escaliers menant à un étage tout aussi majestueux. 

A la place, il découvrit un grand espace dépourvu d'étage, au plancher inégal et grinçant. Régulièrement, des colonnes de tiroirs s'élevaient jusqu'au plafond. Épaisses d'un mètre, elles transformaient la salle en forêt de documents répertoriés aux arbres aux troncs rectangulaires. 

Uriel l'attendait, adossé contre un de ses piliers de connaissance. Sa crinière de cheveux blonds encerclait son visage et soulignait ses yeux sombres. Une barbe mal entretenue envahissait ses joues. Des lunettes de vue reposaient sur son nez. Gabriel le soupçonnait de les garder pour des raisons esthétiques et non pratiques, sachant qu'aucun ange à sa connaissance ne souffrait de problèmes de vision, au sens propre du terme. Son grand frère ne se mêlait pas des affaires des autres, même si les informations qu'il collectait lui permettait de garder moyen de pression en cas d'attaque. 

La révolution de Lucifer n'avait pas suffi à le pousser à donner ses points faibles aux autres anges donc Gabriel doutait qu'il fasse un jour l'usage de ses connaissances dans le but de nuire à quelqu'un. Il avait sans doute un grand cœur caché sous ses traits durs. 

Son frère le détailla des pieds à la tête, comme s'il le voyait pour la première fois. 

- Gaby. Je ne m'attendais pas à te voir. C'est Lucifer qui t'envoie ? 

Le plus jeune des deux ouvrit de grands yeux surpris : 

- Je suis capable de prendre mes propres décisions, rétorqua-t-il, un peu vexé. 

Pourquoi tous les membres de sa famille s'acharnaient-ils à le prendre pour un enfant influençable ? Il se sentit néanmoins obligé de préciser : 

- Mais oui. Je viens pour lui rendre service. 

Uriel leva les yeux au ciel : 

- Si elle pense que je vais l'aider, elle se trompe. Et toi aussi. Les démons sont une plaie. Je ne vais pas aider à les sortir du coma. 

Il tourna les talons pour rejoindre un bureau à moitié camouflé derrière les colonnes. Il se positionnait en face d'une grande baie vitrée donnant sur les jardins du manoir. A l'image de l'intérieur, les parterres de fleurs et les haies étaient impeccablement entretenus. Gabriel le suivit. 

- Comment es-tu au courant de l'épidémie ? 

Uriel soupira, excédé. Il se plongea dans la contemplation des jardins et prit un dossier quelconque entre ses mains: 

- Ecoute Gabriel, je suis chargé de la connaissance. Je me dois d'être au courant des actualités. Maintenant, si tu veux bien me laisser travailler, je t'en serais reconnaissant. 

- Pourquoi en veux-tu autant à Samaël ? 

La mâchoire de son frère se contracta : 

- Ne l'appelle plus comme ça. Samaël était ma sœur. Lucifer n'est qu'une traîtresse. 

Gabriel ne répondit pas mais, si Uriel s'était donné la peine d'étudier son expression, il y aurait vu toute la frustration que cette situation lui inspirait. Était-ce si difficile de pardonner ? Lucifer n'avait-elle pas suffisamment souffert ? 

Son frère se radoucit et se tourna vers lui, posant une main compatissante sur son épaule : 

- Gaby, essaie de me comprendre. Elle n'a pas fait une erreur. Elle en a fait des tas. Elle persiste dans le péché et le mal. Son travail est de torturer des âmes pour leur faire regretter leurs actions ! Elle n'a jamais aucun regret ! 

- Il faut bien que quelqu'un s'occupe de ceux dont personne ne veut, gronda Gabriel. Qui se chargerait de punir les fautes des humains, si elle n'était pas là, à encadrer les démons ? Crois-tu que les attaques des démons envers les humains n'auraient pas augmenté, si elle ne les occupait pas avec des fêtes et ses prisonniers ? 

Uriel écarta sa main comme s'il était brûlé. 

- Tu penses vraiment qu'elle fait ça pour de bonnes raisons ? Mais ouvre les yeux ! Elle n'en fait qu'à sa tête ! Elle aime être admirée par des légions de démons, elle aime être à la tête d'un peuple, peu importe à quel point il est misérable ! Elle torture ces âmes parce qu'elle aime ça, pas parce qu'il faut que quelqu'un le fasse !  

Il se détourna de son petit frère, prit place à son bureau. Une fatigue soudaine s'empara de lui. Il massa son front du bout des doigts, en proie à un violent mal de crâne. Il poursuivit plus calmement : 

- Réfléchis-y, Gaby. Puisque tu la connais si bien, pose-lui la question. J'espère que tu ne seras pas trop déçu. 

Gabriel tangua d'un pied sur l'autre, incertain. 

- Tu pourrais me renseigner sur ce qui plonge les démons dans le coma ? 

Uriel lui accorda un regard noir. 

- Je le pourrais. Vois-tu, j'ai ici la quasi-totalité des connaissances du monde. Mais je ne t'aiderai pas. Lucifer n'a qu'à venir me voir elle-même, si elle veut tenter le coup. Mais je ne lui répondrais pas plus qu'à toi. 

Gabriel baissa les yeux, déçu. 

- Quoiqu'il en soit, ça m'a fait plaisir de te voir. On devrait le faire plus souvent. 

Uriel retira ses lunettes, confus. Son frère se souvint alors qu'ils n'avaient jamais vraiment passé du temps ensemble étant jeunes, comme il l'avait fait avec Samaël, Abdiel et Raphaël. Il aimait son frère mais il n'était pas sûr de vraiment le connaître. 

- Oui, sûrement, lâcha Uriel. Si tu repasses dans le coin... 

- Je viendrais te voir. 

Gabriel lui sourit et le laissa sur cette dernière déclaration. Il traversa les colonnes d'archives, se retourna une dernière fois vers la caméra de surveillance sur le paillasson et s'envola pour retrouver Lucifer. 

Il avait conscience qu'il n'avait pas d'élément pour l'aider. Il savait également qu'Uriel gardait férocement ses informations et que personne ne pouvait y accéder sans son autorisation. 

Pourtant, il avait l'impression d'avoir changé quelque chose, en bien. S'ils ne parvenaient pas à sauver les démons, il aurait au moins regagné un frère. 

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