Chapitre 19 : La Dispute

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Maëlle n'arrivait pas à se concentrer sur son dessin. Elle avait envie d'appeler son ange pour lui dire qu'elle avait vu sa maman, qu'elles allaient passer du temps ensemble... Mais son ange ne pouvait pas venir la voir quand il y avait d'autres personnes réveillées dans l'appartement. Elle devait attendre que Papa dorme pour l'appeler. 

Elle dessina une spirale au feutre bleu sur sa feuille blanche, ses petites jambes battant l'air, essayant de contenir son agitation. 

Trois coups discrets résonnèrent alors dans le petit salon, lui faisant relever la tête de son travail. Gabriel toqua de nouveau sur la vitre pour attirer son attention, en vol stationnaire à la fenêtre du troisième étage, peu soucieux des passants en contre-bas, qui n'eurent pas l'idée de lever la tête. La petite fille sauta sur ses pieds et ouvrit en grand la fenêtre. 

- Bonjour ! 

- Bonjour Maëlle. Je peux entrer ? 

- Papa, il dit qu'il faut pas que j'ouvre la porte à des inconnus. 

L'ange pencha la tête sur le côté, les yeux plissés : 

- Mais si je passe par la fenêtre, ça compte ? 

Maëlle resta silencieuse quelques secondes, pesant le pour et le contre. Finalement, elle lui offrit un grand sourire et s'écarta de l'encadrement de la fenêtre : 

- Je crois pas ! 

Gabriel se glissa à l'intérieur avec souplesse. Maëlle l'observa attentivement. Il avait les mêmes cheveux blond pâle que son ange. Leurs yeux étaient aussi très similaires, si clairs que leur couleur en devenait changeante en fonction de l'éclairage. 

Comme il faisait au moins deux fois sa taille, Gabriel s'accroupit à sa hauteur : 

- Je suis le frère de Lucifer. 

- Je sais. Vous vous ressemblez. 

Il pencha la tête sur le côté, surpris. Maëlle sourit sans plus d'explications. 

- T'es fâché avec Maman ? 

Gabriel fronça les sourcils, perplexe. Comment pouvait-elle le savoir ? Il hocha lentement la tête en confirmation. La fillette eut une moue compatissante et passa ses petits bras autour de son cou : 

- T'inquiète pas : elle t'en veut pas. 

Gabriel ne lui demanda pas d'où elle tenait ses informations et serra la petite fille contre lui. Une éternité s'était écoulée depuis que quelqu'un s'était donné la peine de le prendre dans ses bras. 

- Tu ressembles beaucoup à ta mère, lui apprit-il en s'écartant. 

Elle rougit en se demandant si elle pourrait être aussi jolie quand elle serait grande et retourna en courant à sa table de dessin pour cacher sa gêne. Elle saisit un feutre rouge et traça une autre spirale sur le papier, étroitement liée à la première. Gabriel s'approcha et la regarda faire avec attention. 

Finalement, elle s'empara d'un feutre orange et demanda sans lever les yeux de sa feuille : 

- C'est qui Lilith ? 

Gabriel se figea imperceptiblement. Il n'avait entendu personne prononcer ce nom depuis des siècles. Même Michael n'avait jamais osé remettre le sujet sur le tapis. Il choisit prudemment ses mots : 

- C'est une femme que Lucifer a beaucoup aimé. Il y a longtemps. 

Le trait orange prit le même point de départ que le rouge et le suivit un certain temps, avant de s'en éloigner brusquement. 

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? 

Gabriel ouvrit la bouche sans prononcer le moindre mot. Son regard se fixa sur les lignes colorées devant ses yeux et il prononça d'une voix basse, presque craintive : 

- Il y a eu une dispute. Une horrible dispute qui a fait trembler tous les anges du Paradis. 

Il se souvenait encore de la douleur qu'il avait ressentie ce jour-là. Ils avaient tous supposé que le lien entre les anges, qui permettait de savoir lorsque l'un d'eux étaient en souffrances ou assassiné, avait été rompu avec la chute de Lucifer. Mais aucun d'entre eux n'avait pu ignorer le coup meurtrier que leur sœur avait subi, un coup d'une force telle que Gabriel avait cru Lucifer morte plusieurs terribles secondes. 

Puis le lien s'était violemment coupé de nouveau, leur indiquant clairement que l'ange déchu ne souhaitait aucun renfort dans sa détresse. Gabriel avait passé là un des pires jours de sa longue vie. 

Maëlle lui jeta un coup d'œil inquiet. Elle avait encore beaucoup de questions sans réponse mais le jeune homme avait l'air de souffrir. Elle ne voulait pas qu'il souffre. Elle voulait juste que tout le monde soit heureux. Alors elle ravala sa curiosité et se mit à déblatérer sur son dessin et les couleurs qu'elle devrait utiliser ensuite, sans vraiment faire attention à ce que son bavardage ait du sens : 

- Je pourrais faire un trait vert pour relier les autres lignes mais je sais pas si les autres couleurs aiment le vert. Si j'en faisais un gris, tu crois que ce serait mieux ? 

Gabriel sortit finalement de sa torpeur et lui sourit gentiment. 

- Comment êtes-vous entré ? 

Théodore les interrompit en sortant de la cuisine, paniqué à la vue d'un inconnu près de sa fille. 

- Il a volé jusqu'à la fenêtre. Papa, tu penses quoi de mon dessin ? 

Elle lui tendit la feuille avec le plus grand des sérieux, reléguant le problème du monsieur qui volait à sa fenêtre au second plan. 

- Ne t'inquiète pas, fit Lucifer en les rejoignant. C'est mon frère, Gabriel. 

Théodore ne sembla pas rassuré. Il se retint néanmoins de le jeter dehors et se contenta d'emmener sa fille dans la cuisine en lui jetant un regard soupçonneux. 

Lucifer ferma la porte derrière eux, se retrouvant seule avec son frère. 

- Théodore est un papa très protecteur. Je ne lui jette pas la pierre : il a des raisons de l'être. 

Elle rajusta ses lunettes de soleil sur son nez. Elle étudia brièvement la décoration et réprima un frisson. Cet appartement sentait la vie de famille à plein nez. Elle s'était demandé, durant sa grossesse, si elle n'aurait pas dû renoncer à régner sur l'Enfer pour se créer un petit nid douillet comme celui-ci, avec des petits humains autour d'elle. 

Mais maintenant qu'elle pouvait pleinement évaluer la vie qu'elle aurait pu avoir, elle ne regrettait pas son choix. Elle avait assez d'une famille d'anges déçus et de démons vengeurs. 

- Je vais devoir rentrer en Enfer, couper quelques têtes et faire régner l'ordre. On va devoir reporter notre sortie. 

- Ne tue personne, Lucifer. S'il te plaît. 

Elle leva les yeux au ciel mais ne protesta pas. Gabriel la fixa longuement, jusqu'à ce qu'elle soupire avec agacement : 

- Je verrais ce que je peux faire ! 

Il lui sourit. Le sourire d'un ange était bien l'une des plus belles choses à voir dans une vie, diffusant dans tout un être bienveillance et paix, mais Lucifer n'était pas une fervente admiratrice de ce genre d'événement et claqua la porte d'entrée derrière elle. 

Gabriel ouvrit la fenêtre - qu'il préférait apparemment à la porte - et s'envola. 

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