Chapitre 14 : Coupables

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Alastor fut le dernier à se réveiller. Il était le seul à ne pas avoir de proche susceptible de décapiter pour faire bouger les choses plus vite alors Lucifer ne s'était pas pressée. Il se réveilla en sursaut lorsque l'odeur de la préparation médicale lui agressa les narines. 

Il chuta même lourdement de son lit. 

Lucifer se pencha vers lui et le poussa du bout du pied : 

- Alastor ? T'es mort cette fois ? 

Un grognement échappa à la carcasse difforme. Elle soupira. 

- Encore raté... 

- Lucifer... 

Alastor roula sur le dos pour l'avoir dans son champ de vision. 

- Fais pas semblant, continua-t-il. Je sais que je t'ai manquée. 

- Prends pas tes rêves pour des réalités, mon vieux. Mais ta laideur légendaire aurait manqué à mon image de marque, je te le concède. 

Alastor redécouvrait les joies de sa démarche bancale et fit plusieurs allers-retours entre les rangées de couchages. Lucifer s'allongea nonchalamment sur l'un des lits désormais inoccupés. Elle retira ses lunettes de soleil et les retourna lentement entre ses mains, perdue dans ses pensées. 

- Tu sais, finit-elle par lâcher d'un ton lointain, je crois que quelqu'un cherche à assassiner les démons. 

Alastor se retourna, surpris. Tout le monde voulait assassiner les démons. Ils étaient la bête noire de l'humanité depuis si longtemps qu'il avait perdu le compte des années. Elle poursuivit sur sa lancée : 

- Comme la maladie ne semblait pas toucher les anges déchus, j'en ai envoyé quelques uns fouiller les fêtes d'Asmodée. Ils ont trouvé ça dans la climatisation.

Elle sortit de sa poche un petit sachet en papier rempli d'herbes. Alastor s'éloigna immédiatement, peu désireux de retomber inconscient. 

- Ne t'en fais pas, le rassura-t-elle. Il n'a plus aucun pouvoir depuis que la lumière du soleil l'a effleuré. J'ai demandé son expertise à Abbadon. Comme il s'occupe de récolter les âmes, je me suis dit que c'était son domaine. Ce sont des plantes très rares, poussant dans des coins reculés de la planète sur lesquels aucun homme n'a jamais posé le pied.

Alastor saisit le petit paquet avec méfiance. Il n'avait jamais vu ce genre de feuilles durant sa vie. Même desséchées, elles gardaient des couleurs chatoyantes, rose, vert, jaune. Le regard de Lucifer se perdit dans les fissures qui parcouraient le plafond de la salle. 

- Ce n'est pas l'oeuvre des humains, ni celle d'un démon rancunier. Aucun ange déchu à ma connaissance ne déclarerait une guerre à son peuple d'adoption. Restent les anges.

Elle reprit le sachet des mains d'Alastor. Elle aimait bien lui faire part de ses réflexions. Etant neutre sur tout ce qui concernait la politique, il n'irait pas répéter ses découvertes à n'importe qui. 

- Je trouverai lequel d'entre eux est dans le coup et je me vengerai. 

Alastor sentit un frisson lui parcourir l'échine. Lucifer avait pris un ton calme, dénué de toute note sarcastique ou amusée, mortellement sérieuse. 

Quel qu'il soit, son agresseur n'allait pas faire long feu. 

Dans une autre partie du monde, Gabriel rendait visite à son grand frère. Ils étaient tous les deux assis sur le bureau et discutaient de leurs dernières missions. Uriel s'occupait principalement de guider les humains vers la vérité et de classer les informations au fur et à mesure de leur découverte. Gabriel avait un champ d'activités bien plus varié. 

- J'ai fini par le convaincre de se rendre à la police mais ça n'a pas été facile. J'ai rarement vu un humain aussi têtu que lui. Il est sorti de prison la semaine dernière. Il essaie de se racheter une conduite. 

Uriel sourit poliment à l'histoire de son petit frère. Il en avait déjà un rapport détaillé quelque part, mais il se garda d'en faire la remarque. 

- Il m'a donné un téléphone pour me remercier. Je n'ai pas encore vraiment compris comment ça marchait. D'ailleurs, Lucifer m'a appelé pour me dire que son problème avec les démons était réglé. Je ne sais même pas comment elle a eu mon numéro... 

Uriel se raidit imperceptiblement à cette nouvelle. Il s'en doutait. Lucifer n'allait pas se contenter de regarder les démons, ceux qui l'avaient pris sous leur aile à sa chute, qui lui avaient promis une fidélité éternelle et qui lui obéissaient au doigt et à l'œil, alors qu'elle avait réussi à mettre la main sur un remède. 

S'il s'était plus impliqué dans cette affaire, il aurait brûlé ce dossier avant qu'elle ne mette la main dessus. Mais il n'avait pas pu se résoudre à entrer dans cette guerre entre anges et démons. 

Il avait simplement laissé ces deux anges accéder à ses archives sans restriction. Le moyen de tuer les démons y était caché depuis des siècles, depuis l'époque de la révolte de Lucifer. Après coup, plus personne dans son entourage ne lui inspirait confiance. Il avait tout caché, parmi ses milliers de feuilles. Il avait attendu le bon moment pour dévoiler la recette pour endormir une âme démoniaque à jamais. Il n'avait jamais voulu tuer personne. Il avait même élaboré un remède. 

Mais ces deux anges-là n'avaient pas eu peur de se salir les mains. 

Lorsque Gabriel le quitta quelques heures plus tard, il ne s'écoula qu'une seconde à peine avant que deux battements d'ailes ne viennent troubler le silence de cathédrale de sa bibliothèque. 

- Je sais ce que vous vous dîtes, expliqua-t-il immédiatement sans se retourner vers eux. Vous pensez que je l'ai aidée. C'est faux. Mais je n'ai pas à me justifier. C'était la dernière fois que vous m'impliquiez dans vos plans. Vous voulez exterminer les démons ? Je ne vous en empêcherai pas, tout comme je n'empêcherai pas Lucifer de s'opposer à vous. Vous vous êtes choisis une sacrée adversaire. 

Les deux silhouettes restèrent immobiles, attentives, tandis qu'il s'affalait dans son siège de bureau, exténué de la sociabilité dont il avait fait preuve dans la journée. Il n'avait pas l'habitude. 

- Faîtes attention à vous, les prévint-il. Elle a défié le Ciel. Elle est capable de bien plus que ce à quoi vous vous attendez. 

Fin de la Partie II

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