Le Droit Chemin

Chapitre 26 : Des moyens différents

Mickaël glissa son épée dans son fourreau, essuyant le sang sur la lame avec soin. Resté seul avec lui quand Raphaël était parti à la poursuite de Lucifer pour ce bout de parchemin, Gabriel gardait une distance prudente. 

Il recouvrit les corps des draps que Lucifer avait dérangés, conscient du lourd silence qui s'installait. Mickaël, le frère guerrier, celui qui se battait à longueur de journée, à qui on devait presque arracher chaque mot, le laissait toujours sans voix. Gabriel avait appris à se taire avec son grand frère. Seuls les faits d'armes étaient efficaces lorsqu'il s'agissait de convaincre Mickaël.

En termes de communication, Lucifer était plus proche de lui. Leurs entraînements au combat au Paradis s'étaient simplement vus ajouter des insultes et de véritables blessures depuis la chute de Lucifer. Au moins, ils savaient à quoi s'en tenir l'un envers l'autre. 

Gabriel, en revanche, n'avait jamais su mettre Mickaël suffisamment à l'aise pour qu'il lui parle à cœur ouvert. Ses tentatives résultaient inévitablement en ces silences lourds de non-dits qui posaient sur ses épaules une chape de plomb, d'échec et de déception. 

Il essaya d'ignorer la gêne qui grandissait en lui et tendit le drap au-dessus du corps de Valefor avec un pincement au cœur. Il lui faudrait interroger Lucifer sur ce mystérieux morceau de parchemin. Il avait bien senti qu'il s'agissait d'un contrat d'âme, ancien et puissant, mais sa sœur ne se serait pas déplacée en personne pour le récupérer s'il n'était pas spécial. 

Mickaël le surprit alors en faisant ce qu'il ne faisait jamais : entamer la conversation. 

- Pourquoi tu t'acharnes ? 

Gabriel fronça les sourcils, confus : 

- De quoi tu parles ? 

- De Lucifer. Pourquoi tu t'acharnes ? 

- Je ne comprends pas de quoi tu parles. 

Mickaël soupira, exaspéré. Les guerres, les combats, l'action ; il savait faire. Mais parler n'avait jamais été son domaine de prédilection. Il n'arrivait jamais à se faire clairement comprendre. 

Gabriel l'observait patiemment, attendant qu'il s'explique. 

- Lucifer, reprit son frère. Elle ne te considère pas. Et tu veux l'aider quand même. Pourquoi ? 

- Bien sûr qu'elle me considère. On se voit souvent. On se parle beaucoup. 

Mickaël reçut le reproche en serrant les dents. 

- Pourquoi tu restes avec les anges, si tu la préfères ? 

- Je ne la préfère pas, Mickaël. Je me suis mal exprimé. Je voulais simplement te faire remarquer qu'on ne se voyait pas seulement quand elle m'appelait pour que je lui rende service. Elle ne l'a fait qu'une fois.

Le silence se glissa entre eux tandis que Mickaël guettait le retour de Raphaël avec agitation. Il n'aimait pas être seul avec Gabriel. Il finissait toujours par trop parler. 

Son benjamin s'accrocha à leur discussion, à son grand désarroi : 

- Pourquoi tiens-tu tellement à déclencher l'Apocalypse ? 

Il haussa les épaules : 

- Pourquoi pas ? Ça doit bien arriver un jour. J'en ai assez d'attendre. 

- Une guerre entre anges et démons ferait beaucoup de victimes, principalement humaines. Lorsque les troupes de Lucifer se rendront compte du nombre de décès dans la zone, ils enverront des renforts et se vengeront sur les humains. 

- Les démons ont été les premiers à se rassembler ici. Nous avons envoyé des renforts. 

Gabriel fronça les sourcils, confus : 

- Mais pourquoi des démons se rassembleraient ici ? 

- Je ne leur ai pas posé la question. Ils rôdaient autour de la forêt où habite Lilith. 

Gabriel se tut. Il se promit d'en parler à Lucifer au plus vite. Ça ne pouvait pas être une coïncidence. 

- Je veux protéger les humains. Les démons sont dangereux. 

Le visage de Mickaël était fermé par la même expression qu'un enfant buté. 

- Je sais, le rassura son frère. Moi aussi, je veux les protéger. 

Il hésita un bref instant, puis il s'approcha de Mickaël et posa une main réconfortante sur son épaule : 

- Nous avons des moyens différents de le faire, c'est tout. 

Son frère hocha doucement la tête. Gabriel sourit, plein d'espoir. Ce qui venait de se passer ressemblait fortement à un début de relation fraternelle. 

- Au fait, pourquoi être allé voir Raphaël pour déclencher l'Apocalypse ? 

Mickaël lui jeta un drôle de regard qui le fit instantanément se sentir à côté de la plaque. 

- Ce n'est pas qu'il n'est pas un bon compagnon, se reprit le plus jeune. Mais il n'est pas le premier de nos frères et sœurs qui me vient à l'esprit quand je pense à ce genre de projets... 

- C'est lui qui est venu me voir. 

- Vraiment ? 

Raphaël n'était pas belliqueux en temps normal. Il soignait, rassurait, réparait les corps et les esprits. Il ne les détruisait pas, ne planifiait pas de le faire. La simple idée d'être à l'origine d'un quelconque danger pour les humains ou les autres anges lui était inconcevable. 

Inconsciemment, Gabriel raffermit sa prise sur l'épaule de Mickaël. Qu'était-il arrivé à Raphaël pour qu'il change de cette façon ? 

- Tout va bien ? 

Mickaël le fixait avec inquiétude, intrigué par son soudain silence. Gabriel déglutit difficilement et força un sourire. Lucifer, Mickaël, Raphaël... Combien de ses frères et sœurs avait-il négligés ces dernières années ? Bien évidemment, il s'était arrêté pour les aider à chaque appel, il n'avait jamais ignoré une demande de secours ou choisi la solitude plutôt que leur compagnie. 

Il n'avait simplement jamais pensé à prendre l'initiative de les contacter. Il ne provoquait jamais les rencontres, il attendait patiemment qu'on manifeste le désir de le voir. Il ne suivait pas ses envies, se contentait de se laisser porter par les événements qui croisaient sa route. 

Il réalisa, douloureusement, que les choses auraient pu être très différentes s'il avait suivi ses instincts plutôt que d'attendre qu'on lui dise quoi faire. Il ne se serait pas éloigné de Mickaël et Uriel. Il n'aurait pas laissé Raphaël à ses idées noires. Lucifer aurait peut-être toujours ses ailes. 

- Je dois y aller, lança-t-il soudainement. On se voit plus tard ? 

Mickaël haussa les épaules et Gabriel l'interpréta comme un signe d'approbation. Il ouvrit les portes sans que son air soucieux ne quitte son visage. 

Mickaël ferma les yeux au son des battements d'ailes de son frère qui quittait l'entrepôt. Il réfléchit à leur conversation et réalisa qu'il avait partagé plus d'informations que Gabriel ne l'avait fait. A chaque fois,  il ne s'en rendait compte que trop tard. A chaque fois qu'il était seul avec Gabriel, il parlait trop.