Chapitre 2 : Evasion

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Lucifer n'était pas restée. A peine le temps d'inspirer la terreur aux deux humains et elle quittait tranquillement les lieux. Gabriel n'en attendait pas moins d'elle. Sa sœur aimait jeter de l'huile sur le feu, le faire souffrir, lui et tous ceux qui avaient refusé de la suivre lors de sa révolution. Tous les témoins de sa chute, du côté des vainqueurs, n'étaient plus rien à ses yeux. 

Venir au milieu d'une bande de détenus affamés avec de la nourriture, ce n'était qu'un moyen de le faire souffrir. En tant qu'ange, il pouvait supporter sans problème plusieurs semaines sans se préoccuper des besoins de son enveloppe corporelle. Mais il n'avait jamais supporté de voir les humains désespérés. Trop sensible, le sermonnaient ses frères et sœurs. Ne perds pas de temps à t'apitoyer sur leur sort. Gabriel n'y pouvait rien. Même avec ses ailes, qui atténuaient énormément les émotions qu'il lui arrivait de ressentir, son cœur se serrait à cette vision. 

Lucifer qui venait lui rendre visite, c'était une première. Il était vrai qu'il restait rarement autant de temps au même endroit. Son existence l'avait mené aux quatre coins de la planète, au gré des visions qu'il recevait et qui le guidait jusqu'à des lieux où la mission qu'il devait accomplir lui sautait pratiquement aux yeux. 

Il n'avait pas croisé de membre de sa famille depuis... Il fronça les sourcils, la réponse mettant beaucoup trop de temps à venir. La tristesse s'abattit soudain sur ses épaules. Sa famille ne se réunissait plus depuis trop longtemps. 

Et plus le temps passait, plus il risquait de ne plus en faire partie. 

Il avait perdu ses ailes. 

Il avait perdu le symbole de son rôle de guide envers les humains, ce qui lui permettait de prouver aux humains l'existence du Seigneur, ce qui pouvait le ramener chez lui, au Paradis, quand la maison lui manquait. Il avait perdu ce qui lui avait été confié pour qu'il remplisse sa mission. 

Naïf et compatissant qu'il était, il avait accepté qu'un humain en pleine déprime boive un verre avec lui. Ils avaient discuté salut de l'âme et moyens d' y accéder quand l'ange s'était mis à lentement sentir ses paupières se fermer contre sa volonté, ses membres s'alourdir jusqu'à ce qu'il ne puisse plus les bouger, sa tête rencontrer le comptoir du bar. Les couleurs s'étaient mélangées dans son esprit, les sons avaient envahi chaque espace libre dans sa tête... Puis plus rien. Il s'était réveillé le lendemain, groggy par la drogue et le dos en feu. 

Ses ailes étaient la seule partie vulnérable de son corps, la seule capable de le faire souffrir. Et il souffrait tellement, encore maintenant, qu'il était certain de ne jamais avoir vécu quoique ce soit de semblable. 

Il ne savait pas s'il devait y voir un signe défavorable ou une épreuve. Il espérait de tout son cœur que ce soit une épreuve. Ce qu'il avait vécu jusqu'à présent renforçait cette idée. Il avait été envoyé pour remettre cette secte sur le droit chemin et, après avoir perdu ses ailes, il s'était obstiné. Seul et sans appui, il s'était vite fait capturer par les fidèles. Il ne pouvait rien faire depuis cette cage pour aider les humains. Il avait donc appliqué ce qu'il conseillait quand l'un d'entre eux ne pouvait rien faire pour améliorer la situation : il avait prié. 

Puis Lucifer était arrivée, et il était certain qu'il s'agissait d'un signe aussi. La coïncidence était trop évidente. Il cherchait encore à en déchiffrer la signification. 

- Monsieur ? 

Il resta immobile, agenouillé dans sa cellule, bien que la voix l'ait surpris au plus profond de ses pensées. 

- Monsieur ? répéta l'homme. 

Gabriel parvint à l'identifier comme son geôlier, Jordan s'il se souvenait bien, à qui Lucifer avait fait forte impression. L'humain ne parut plus s'embarrasser du manque de réaction de son interlocuteur et demanda, la voix chevrotante : 

- Vous êtes un ange ? L'ange Gabriel ? 

Le silence lui répondit mais, encore une fois, il ne s'en préoccupa pas : 

- Vous pouvez m'aider ? Quand vous serez libre, vous pourrez m'aider ? 

Il ne mettait même pas en question la libération prochaine de son prisonnier particulier. Il se souvenait encore de l'étrange inconnue, qui était parvenue à entrer et sortir de l'enceinte de la communauté sans se faire arrêter par quiconque. Il se souvenait encore de son regard. 

Deux yeux rouges qui lui revenaient sans cesse en tête, sans qu'il songe particulièrement à leur couleur ou à leur propriétaire. Avec ces yeux resurgissait en lui la terreur qui l'avait traversé quand il les avait croisés. Des iris rouges comme le sang, qui plongent dans votre âme pour en sortir tout ce qu'il y a de plus mauvais et sordide, qui vous étranglent avec et vous étouffent avec votre propre peur. Ces yeux étaient des promesses de douleur et d'horreur infinies dans la mort, tenues aussi longtemps qu'il y aurait un souffle de vie dans ses deux yeux infernaux. 

Rien que ce souvenir le faisait trembler de tous ses membres. Il savait que le Maître l'avait vu aussi, qu'il tremblait aussi. Il pensait que le Maître le guidait sur le bon chemin, qu'il les protégerait contre tout et tous mais il s'était trompé. Le Maître ne pouvait rien pour son âme, pas contre les deux yeux rouges. 

Mais la femme avait parlé d'égale à égal à ce prisonnier. Elle l'avait appelé un "ange". Lui pouvait quelque chose pour son âme. 

- Je veux me racheter. Devenir quelqu'un de bien. Vous m'aiderez ? 

Un cliquetis de clés et la porte de la cage de Gabriel était ouverte. Il mit un moment à bouger, son corps faiblissant ankylosé par la position de prière qu'il tenait depuis des jours. 

Il avait voulu aider ces humains avec les mêmes armes que l'un d'entre eux, parce que son orgueil lui disait qu'il en était capable. Il avait eu tort. Il en était incapable. Il devait faire autrement, pour une fois. Il demanda à Jordan de se rendre aux autorités. 

La police arriva dans la nuit avec suffisamment de forces armées pour emmener tous les adeptes. Malheureusement, certains eurent le temps de se jeter sur une arme en les sachant tout près. 

Gabriel détourna le regard des corps sans vie, de ces âmes qu'il aurait pu sauver, s'il avait pris le temps de faire les choses bien, de retrouver ses ailes avant tout. 

Il devait se racheter, et vite. Mais sans ses ailes, aucun des anges ne le soutiendrait. S'il était aidé de l'un d'entre eux, l'épreuve n'en était plus une ; sans eux, il ne réussirait pas à la surmonter. Il ne connaissait qu'une personne suffisamment puissante pour que son implication fasse la différence, qu'il savait où trouver et qui ne rechignerait pas trop longtemps à l'aider. 

Sa sœur. Lucifer

Le Droit CheminOù les histoires vivent. Découvrez maintenant