Chapitre 13 : Attente

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De retour en Enfer, Lucifer découvrit Gabriel au chevet d'Alastor. Au milieu de tous ces démons, ses grandes ailes repliées de sorte à ne pas déranger les dormeurs, il offrait un tableau surprenant. Les mains jointes, il semblait prier pour le rétablissement des malades. Lucifer se félicita intérieurement d'avoir déclaré cette salle comme inaccessible pour les biens-portants, elle s'était évitée une situation très inconfortable. Des démons conscients face à un ange en prière ? N'importe lequel d'entre eux aurait été capable d'abandonner son ami pour se jeter sur lui. 

- T'es là depuis longtemps ? Je me demande comment réagira Alastor en apprenant qu'il a été veillé par un ange... 

Elle gloussa discrètement à cette idée. Gabriel ignora sa première question et se redressa brusquement : 

- Tu as trouvé un moyen de les réveiller ? 

- Tout à fait. 

Elle ramassa une chaise dans un coin et s'installa à côté de son frère. 

- J'ai envoyé quelques démons cueillir des plantes rares, selon une liste dont je tairai la provenance. Ils devraient revenir d'ici quelques heures. 

- Cette liste... Tu l'as prise chez Uriel ? 

Elle leva les yeux au ciel mais retint le commentaire sarcastique qui lui venait aux lèvres. Elle choisit plutôt la curiosité : 

- Tu priais, si je ne m'abuse ? Pourquoi ? Ce n'est pas comme si le sort des démons te concernait directement... 

Gabriel baissa les yeux sur ses mains, gêné. 

- Je pense que toutes les créatures méritent qu'on leur laisse la chance d'être bon de leur vivant. 

- Les démons ne se repentiront jamais, tu le sais ? 

Il passa sa main sur sa nuque, avec le sourire de celui qui a du mal à se convaincre lui-même : 

- Peut-être un jour. Tu as bien été un ange. Pourquoi ne pourraient-ils pas changer d'orientation, eux aussi ? 

- C'est différent, rétorqua Lucifer. J'ai toujours joué avec les limites. Je t'assure qu'aucun des démons que je connais ne serait du genre à changer d'avis sur la question de l'humanité, ou de leur rôle dans l'univers. 

Gabriel fronça les sourcils, contrarié d'être contrecarré si vite : 

- Même si ce que tu dis est vrai, si les démons existent, si nous les combattons depuis des millénaires, il doit bien avoir une raison à leur présence, n'est-ce pas ? 

Sa sœur le fixa longuement, méditant ces paroles. Oui, il devait bien avoir une raison. Mais elle avait suffisamment remis en doute les raisons de leur Créateur au cours de sa vie pour douter de leur validité. Elle retint ses réflexions, haussa les épaules sans conviction : 

- Peut-être. 

Il se tourna à moitié vers elle, hésitant. Le sujet qu'il souhaitait aborder était épineux. 

- Je me demandais... Pourquoi n'as-tu jamais essayé de retourner au Paradis ? 

Elle haussa un sourcil, attendant qu'il développe. 

- Tu aurais pu te repentir... Reconnaître tes fautes et demander Son pardon. Je sais que tu es fière mais... Est-ce que ça n'en valait pas le coup ? 

Elle redressa ses lunettes sur son nez, de sorte à cacher ses yeux. Le silence s'étira et Gabriel crut qu'elle allait ignorer sa question. Il ne lui en aurait pas voulu. Il n'était pas certain de vouloir entendre la réponse. Et si elle n'avait jamais apprécié ses années au Paradis ? Si elle avait toujours souhaité prendre le pouvoir, sans se soucier plus que ça de sa famille ? 

Ces questions tournaient dans sa tête en permanence depuis qu'il l'avait revue. Elle était la seule capable de lui en offrir les réponses et elle était également la seule dont il craigne les réactions à ce sujet. 

- Je ne l'ai jamais fait, lâcha-t-elle enfin, parce que je n'en ai jamais ressenti le besoin. L'idée m'a effleurée, je l'avoue. Mais je ne me sens pas coupable dans cette histoire. J'ai voulu changer les choses, j'ai convaincu un grand nombre de personnes de me suivre dans ce projet, nous avons tout fait pour réussir. Nous avons lamentablement échoué. 

Un rire amer s'échappa de ses lèvres. 

- Ma chute a signé le début d'une nouvelle période de ma vie, loin du Paradis et des mes anciennes responsabilités. Mais je ne considère pas que ma punition est méritée. Je n'ai fait que suivre ce en quoi je crois. Est-ce que ce n'est pas ce qu'Il nous demande de faire ? Suivre nos convictions, faire ce que l'on pense être bien... Avoir la foi. 

Elle retira ses lunettes d'un geste fluide et plongea son regard dans celui de son frère : 

- Si je n'ai jamais essayé de retrouver le Paradis, ce n'est pas par fierté, Gabriel. C'est une question de justice, de croyance. Je ne me repentirai jamais pour ça. 

Ils restèrent longtemps immobiles, à se fixer dans le silence des respirations des dormeurs. Lucifer ne lui expliqua pas en détails les différentes étapes de la période suivant sa chute, la honte, l'humiliation, la peur, la solitude, la colère, la tristesse. L'acceptation, ou plutôt la résignation. La volonté de se reconstruire. 

Gabriel n'avait pas besoin de savoir. Personne n'avait besoin de savoir. 

Elle était arrivée un matin, s'était approchée des démons, avait terrassé les quelques uns qui trouvaient amusant de s'en prendre à un ange déchu, s'était faite apprécier des autres. Elle s'était imposée à leur tête petit à petit, avait rallié les autres anges déchus à sa cause. 

Elle avait réussi à renaître, elle avait même changé de nom pour oublier son ancienne vie. 

Puis Gabriel débarquait et, en le sentant en difficulté, elle courait pour l'aider malgré toutes ses promesses de rester à distance de toutes les créatures célestes. Puis en quelques paroles, avec sa gueule d'ange, ses yeux pleins de douceur et d'amour, ses regrets d'une famille unie, il lui foutait tout en l'air. 

Des siècles de certitudes balayés en une poignée de minutes, elle n'arrivait même pas à se l'expliquer. 

Lorsque ses cueilleurs de plantes en milieu hostile retrouvèrent la chaleur des flammes de l'Enfer, elle était seule de nouveau, avec le sentiment dérangeant qu'elle n'en avait pas tant souffert depuis longtemps.  

Le Droit CheminOù les histoires vivent. Découvrez maintenant