Correspondances

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Paris, le 2 mai 1917


Candy travaillait avec ardeur et bonne humeur, distribuant ses sourires avec générosité sans perdre son efficacité. Elle alternait les soins en salle pour les convalescents et les heures passées en salle d'opération. Les médecins avaient très vite découvert et su mettre à profit ses compétences, sa précision et son grand sens du dévouement et ils semblaient ravis d'avoir une telle recrue à leurs côtés.

Il était également prévu qu'elle encadrerait de jeunes bénévoles qui souhaitaient devenir infirmières en les supervisant dans leurs tâches en salles de pansements et auprès des convalescents.

Ce n'est que le 2 mai qu'elle reçut ses premiers courriers en provenance d'Amérique. Il y avait une lettre d'Albert et une autre enveloppe, plus épaisse, dont elle découvrit avec une profonde émotion qu'elle avait été envoyée par Terry ! Mais elle dut attendre la fin de son service pour pouvoir les lire.

Elle s'installa sur un banc de la cour, à l'ombre des grands arbres. C'est avec une certaine fébrilité qu'elle ouvrit la lettre de Terry, son cœur semblait vouloir sortir de sa poitrine. La première feuille était une lettre qu'il lui avait envoyée à Los Angeles quelques semaines auparavant mais Candy ne l'avait jamais reçue... Elle fut abasourdie de découvrir que si elle avait seulement attendu quelques jours de plus, elle aurait pu la lire avant son départ.

"Providence, le 5 avril 1917,

Très chère Candy,

J'ai longtemps hésité à t'écrire mais je devais partir en tournée à travers les États-Unis pour jouer Coriolan et je savais que je ne pourrais pas me libérer avant longtemps. Après sept longs mois, la tournée se termine à la fin de cette semaine et je vais enfin pouvoir prendre quelques vacances.

La semaine dernière j'ai joué la pièce à Chicago. Je rêvais de pouvoir t'y retrouver mais j'ai appris qu'Albert et toi habitiez depuis peu en Californie... Mais j'ai eu le plaisir d'y voir Annie, Archibald ainsi que ton neveu Adrian. C'est un très beau bébé et le bonheur d'Archibald et d'Annie fait plaisir à voir. Ils s'aiment beaucoup tous les deux. Je devrais dire tous les trois.

J'imagine que tu as dû apprendre par les journaux que Suzanne et moi avions rompu et qu'elle allait se marier avec son médecin, qui est vraiment un homme formidable. J'aurais préféré que tu l'apprennes autrement mais je ne voulais pas raviver en toi la douleur de souvenirs que tu avais peut-être oubliés.

Pourtant, Annie et Archie m'ont laissé entendre que tu pourrais être heureuse de me voir. Ma tournée se terminant dans deux semaines, je rentrerai alors à New-York et j'espère y trouver la lettre où tu m'annonceras que tu me donnes l'autorisation de venir vous voir, Albert et toi.

Candy, il y a tant de choses que je voudrais te dire, que je voudrais te lire parce que je les ai écrites pour toi mais je n'ose pas. Alors je vais laisser Shakespeare parler pour moi.


C'est surtout quand mes yeux se ferment qu'ils voient le mieux,
car tout le jour ils tombent sur des choses indifférentes ;

mais, quand je dors, ils te contemplent en rêve
et, s'éclairant des ténèbres, deviennent lucides dans la nuit.

Ô toi, dont l'ombre rend si lumineuses les ombres,
quelle apparition splendide formerait ta forme réelle

à la clarté du jour agrandie de ta propre clarté,
puisque ton ombre brille ainsi aux yeux qui ne voient pas !

Oui, quel éblouissement pour mes yeux de te regarder à lumière vive du jour,
puisque dans la nuit sépulcrale l'ombre imparfaite de ta beauté
apparaît ainsi à travers le sommeil accablant à mes yeux aveuglés !

Les collines de la vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant