Chapitre 37 - Le monde est flou

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Quatorze jours. Cinq heures. Vingt-sept minutes.

Pas une visite. Pas un coup de fil. Pas un message. 

Rien.

Quand il a quitté la pièce, le monde est devenu flou. Et il l'est resté depuis.

J'avais fait l'erreur de me confier. J'avais fait l'erreur de faire confiance. J'avais fait l'erreur de croire que la vérité était la réponse à tout. 

J'avais eu tort.

Après avoir passé une heure à terre, à pleurer, à retourner le problème dans tous les sens, je pris une sage décision. La première depuis longtemps. Je m'étais repassé en boucle tous les conseils que l'on m'avait donné jusqu'à présent et j'en arrivais toujours à la même conclusion : ne pas me laisser abattre. J'avais fait tout ce qui était en mon pouvoir et rien n'avait marché. Force était de constater que nous n'étions donc pas fait l'un pour l'autre. Il était inutile de continuer à se battre dans le vent.

Toutes ces résolutions ne m'empêchaient pas d'avoir un trou béant dans la poitrine, mais cette fois, pas de dérapage, pas de connerie. J'allais enfiler mon masque de Perfect Jane, et souffrir en silence.

Quand Maya était venue me rendre visite comme convenu, j'avais sorti mon plus beau sourire, et enveloppé un tout petit mensonge dans un bel enrobage de vérité : 

- San est passé récupérer notre travail sur Bloqués et il est repartit.

- Il l'a pas mal pris de te trouver ici ?

- Non, pas du tout. On a un peu dérapé mais je crois que tout est rentré dans l'ordre.

Je ne savais pas si elle m'avait cru. En tout cas elle ne posa pas davantage de questions.

Perfect Jane avait pris le relais dès lors. Je souriais du matin au soir, ne ratais aucun rendez-vous, travaillais nuit et jour, n'avalais presque plus rien, pleurais chaque fois avant d'aller dormir, et de temps à autre - comme ce quatorzième jour -, j'allais courir.

Je n'avais aucun itinéraire précis en tête. Je laissais mes jambes me guider là où bon leur semblait pendant que je composais tout un tas de choses dans ma tête. La souffrance avait du bon : elle m'inspirait. J'avançais si vite sur les projets des autres que je commençais à travailler sur mes propres projets ; je pensais même éventuellement remonter sur scène un jour. Je ne rêvais toujours pas d'être célèbre, néanmoins j'avais de plus en plus envie de défendre moi même mes idées, de dire ce que j'avais à dire et pas par le biais de quelqu'un d'autre.

À force de courir, je me rendis compte que j'avais atterri en plein milieu de Fontainebleau. Drôle de coïncidence.

Un homme sembla vaguement s'avancer vers moi pour me demander son chemin mais je ne m'arrêtai pas. Plus rien n'existait. Je vivais dans une bulle d'égoïsme impénétrable et tout ce qui se trouvait à l'extérieur n'était qu'une brume lointaine, un brouhaha sourd.

Alors que je n'avais plus croisé personne depuis plusieurs minutes, un rocher attira mon attention. Il surplombait tous ceux que j'avais croisés auparavant de plusieurs mètres. Il était imposant et plein d'imperfections. J'avais l'impression qu'il m'appelait.

Je m'en approchait lentement, l'observant d'un œil attentif avant d'y poser une main, puis une autre, puis un pieds, et enfin deux. Je réitérai mes gestes un peu plus haut, et encore un peu plus haut. Sans réfléchir au pourquoi du comment, je me mis alors à grimper cet immense rocher. C'était devenu mon nouvel objectif, je n'avais plus que ça en tête : arriver en haut.
Mes mouvements s'enchaînaient machinalement, je n'avais presque pas à réfléchir. C'était comme si mon corps et mon esprit ne faisaient plus qu'un avec ce rocher. Chaque centimètre gagné était une mini victoire, chaque nouveau mouvement relançait un battement de mon cœur. Tout cela me parut être un jeu d'enfant, tant et si bien que je pris confiance et enchaînai les gestes machinalement, me laissant porter par ce regain de vie.
Jusqu'à ce que, à quelques mètres du sommet, ma main gauche dérape, me faisant perdre l'équilibre. Je me balançai donc dangereusement au bout de la seule prise qu'il me restait tandis que mes pieds cherchaient désespérément une aspérité dans laquelle se loger.
Malgré la détresse de la situation, ma main droite qui commençait à glisser, je gardai mon calme. Mon regard balayant la paroi, j'aperçus une prise plus stable quelques centimètres plus haut. Sans tergiverser un instant de plus, je poussai de toutes mes forces contre le mur avec mes pieds afin de me hisser. Je n'avais qu'une seule chance de réussir. Si je ratai la prise, j'étais bonne pour aller m'écraser lamentablement au sol, plusieurs mètres plus bas. Durant une seconde, j'allai même jusqu'à me demander quel os se briserait en premier, et quelle blessure serait celle qui me serait fatale. Ce n'était pas par peur, mais par simple curiosité.

Le San et l'interdit (Fanfiction Orelsan)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant