Depuis le repas de dimanche chez ma grand-mère, j'avais réussi à garder la tête froide et à reprendre ma vie en main. Mon quotidien était à présent réglé comme une horloge. Je me levais tous les matins à cinq heures tapantes. Je commençais la journée par une heure de méditation dans le but de retrouver un esprit sain en l'absence de ma conscience. Ensuite, je faisais une halte dans la cuisine où je mixais un demi concombre avec deux branches de céleri, une pomme, deux poignées d'épinard, une moitié de citron et une pincée de gingembre. J'avalais le tout en vitesse — non sans une pointe de dégoût sur le visage — puis filais dans ma salle de sport. De là j'enchaînais une heure de yoga, puis deux heures que je partageais entre la musculation, le vélo elliptique et le tapis de course. Il fallait que mon corps soit solide pour pouvoir faire face à toutes les situations. Une fois ma séance de transpiration terminée, je faisais quelques étirements avant d'aller prendre une douche rapide. À dix heures tapantes, je quittais la maison pour le métro. Dorénavant, en descendant du train, je faisais toujours un détour jusque chez Momo pour faire les courses avant de rejoindre ma grand-mère. J'y étais passée tous les jours de la semaine, sauf lundi, de peur de croiser Mika.
Je faisais le maximum d'efforts pour me fondre dans la masse. Je savais que je ne pourrai jamais rattraper toutes ces années à ne me centrer que sur moi-même. Je savais qu'au fond, je n'étais personne. Mais tout cela ne devait pas m'empêcher d'aider les autres, de faire de mon mieux pour rendre ce monde moins pénible, d'arrêter de chercher des excuses et de me trouver une vraie utilité. Chaque fois qu'un relent d'ego refaisait surface, que je commençais à penser à ma petite personne, je me répétais en boucle "Je ne suis rien" comme un mantra, et tout allait beaucoup mieux.
En seulement quelques jours, mes compétences culinaires s'étaient améliorées de manière exponentielle. J'avais réalisé que ça n'était pas plus compliqué que n'importe quel autre travail manuel. Il suffisait de suivre la recette, d'utiliser les bons ustensiles et les meilleurs ingrédients possible, de respecter les temps et les températures, et d'écouter attentivement les conseils de ma grand-mère. En somme, rien qui ne soit hors de ma portée à conditions d'y mettre un minimum du mien.
Aujourd'hui, ma cheffe cuistot personnelle avait sorti sa recette du coq au vin, et me laissait me débrouiller seule, tout en m'observant d'un œil aguerri. De temps à autre, elle émettait quelques commentaires : "mets-en un peu plus", "ne remue pas trop vite", "laisse encore reposer", "n'oublie pas d'arroser de temps en temps". Mais globalement, je me débrouillais plutôt bien. J'avais même acquis sa manie de réaliser des quantités de nourriture démesurées. Ce n'était pas un mal, car cela me permettait d'apporter à manger dans les associations où j'officiais tous les après-midis.
Après le déjeuner, nous sortions pour nous occuper du jardin, une des plus grandes passions de ma grand-mère. Arroser, tailler, bouturer, rempoter, sarcler ; elle aurait pu faire ça du matin au soir. Contrairement à ce que je croyais, ce n'était pas une activité de tout repos. Même en plein automne , il y avait toujours quelque chose à faire. N'ayant pas la main verte, je suivais attentivement ses faits et gestes afin de m'améliorer. Elle m'expliquait le noms des plantes, la quantité d'eau qu'il leur fallait, l'exposition nécessaire par rapport au soleil, les différents types d'engrais, ainsi que la période à laquelle planter pour avoir des légumes de saison dans le potager. Je n'étais pas très bavarde, mais je prenais minutieusement des notes dans ma tête. Je voulais tout retenir. Cette vie était bien différente de celle qui consistait à rester bien à l'abri entre les quatre murs de mon studio, avec du bruit artificiel dans les oreilles non-stop et des gens qui courent partout autour de moi. Ici, j'apprenais à écouter, à prendre conscience que j'étais loin de tout savoir, à découvrir de nouvelles choses. Au milieu du silence, une question émergea dans mon esprit :
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Le San et l'interdit (Fanfiction Orelsan)
FanfictionLa vie de star, très peu pour moi. J'ai toujours été plutôt une femme de l'ombre, quelqu'un qui aime l'art mais qui préfère sublimer celui des autres plutôt que d'exposer le sien. J'avais décidé de vouer ma vie à cela, je ne vivais que pour mon trav...