Chapitre 1

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Je le regarde s'envoler, il semble si libre au milieu du morne paysage de Paris. Je rêverais de déployer mes ailes, comme lui et de partir; loin de cette ville, loin de ce lycée, et surtout, loin de ce cours de français. Je griffonne distraitement un énième petit monstre sur le contrôle que nous corrigions. Une pression se fait alors sur mon bras et je me tourne vers ma voisine de table, m'apprêtant à la réprimander. Son regard insistant me fait remarquer le calme inhabituel qui règne dans la salle et tous les yeux braqués sur moi.

Je lève fièrement la tête vers notre professeur, affichant mon air le plus arrogant. Madame Blasco est une vieille femme un peu dodue, dont les lobes sont presque arrachés par de lourdes boucles d'oreille.

- Donc, Mademoiselle Edwards, qu'essaye de faire comprendre Voltaire par "laisser aller le monde comme il va" ? Exige-t-elle, d'un ton condescendant.

Je la fixe avec des yeux ronds. Mais quelle importance ça peut bien avoir ? Voltaire est mort il y a 240 ans et de nombreuses personnes, beaucoup plus brillantes que moi, se sont penchées sur son cas. De plus, Madame Blasco sait que je n'ai aucune idée de la réponse qu'elle attend, étant donné la note lamentable que j'ai eue à cette interrogation.

- Mademoiselle Edwards, donnez-moi une réponse digne de ce nom maintenant, ou vous resterez deux heures supplémentaires, ce soir, pour y réfléchir tranquillement, ajoute-t-elle en appuyant sur ce dernier mot.

Mais elle me menace en plus ! Je sors avec mes frères ce soir, il m'est impossible de rater ça. Je dois trouver quelque chose d'intelligent à dire, et vite. Je jette un coup d'oeil à la copie de ma voisine et forme une phrase, à peu près cohérente, dans ma tête.

- Il veut dire par là que le monde continue à tourner quoi qu'on y fasse, déclaré-je en la regardant droit dans ses yeux ridés.

- C'est ce que Marie, qui est assise juste à côté de vous vient de dire, donc deux heures ce soir, sourit-elle d'un air mauvais.

- Je ne pourrais point m'y rendre madame, répliqué-je d'un ton moqueur.

- Oh, mais je m'assurerai que vous y serez, Edwards, affirme-t-elle, sans se départir de son sourire.

Je réalise alors que quoi que je dise, elle ne changera pas d'avis et que je n'ai aucune chance de gagner contre elle.

- S'il vous plaît Madame! La supplié-je.

- Non, la discussion est close Edwards. Si vous continuez d'insister, ce sera deux heures tous les soirs jusqu'à la fin de l'année, conclut-elle d'une voix triomphante.

La sonnerie retentit alors, ce son synonyme de délivrance qui m'empêche de m'énerver devant tous mes gentils camarades de classe. Je rassemble mes affaires, sans adresser un regard à Mme Blasco, et me rue hors de la salle. Je traverse le couloir, jusqu'aux toilettes des filles, bousculant une bonne dizaine de personnes. Je pousse la lourde porte et me précipite dans la cabine la plus proche. Mon sac tombe lourdement sur le sol, tandis que mon poing va heurter le mur avec violence. Plusieurs bleus ornent les jointures de mes mains mais personne ne semble le remarquer.

J'ai frappé sur un mur pour la première fois il y a plusieurs années. Je l'avais fait sans réfléchir, d'un mouvement surgi de mon inconscient. Désormais, je suis parfaitement maîtresse de mes actes et je sais que cela m'aide à libérer ma frustration. Je lève le verrou qui bloquait la légère porte et sors de mon repère.

Je jette un coup d'oeil au reflet que me renvoie le miroir en face de moi et grimace. Mes yeux saphirs sont soulignés par d'énormes cernes et je suis beaucoup trop pâle. Mes cheveux bruns parfaitement lisses tombent de manière désordonnée sur mes épaules, me donnant un air rebelle. Je rabats la capuche de mon sweat noir sur ma tête et quitte les toilettes.

I WAS NOBODYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant