Chapitre 3

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Mes ongles rentrent dans les accoudoirs de mon siège. Nous décollons, quittons la France et ma famille. Je me suis retenue de pleurer pendant nos adieux déchirants, mais maintenant que je suis seule, je ne peux m'empêcher d'étouffer un sanglot. S'il leur arrive quoi que ce soit pendant mon absence, je ne me le pardonnerai pas. Je ne sais pas comment Samuel va se débrouiller avec ses habits, ni qui va aider Aurèle à faire la cuisine tous les soirs à venir.

Je regarde le sol par le hublot, il s'éloigne peu à peu. Je vois Paris, ma ville, devenir de plus en plus petite jusqu'à ce qu'une couche de nuages viennent me brouiller la vue. Je pousse un soupir, mais le ciel semble décider à couper court à ce départ déchirant. L'avion subit une grosse secousse et j'entends quelques filles pousser des cris derrière moi. Je souris en me disant que je ne suis définitivement pas comme elles. Cette secousse ne m'a pas effrayée, au contraire, j'aurais aimé sortir de ce véhicule pour aller caresser les nuages.

Quelqu'un vient s'asseoir sur le siège vide à côté de moi : Astrid. D'après les rumeurs, elle aurait redoublé au moins trois classes différentes, ce qui lui donnerait le même âge qu'Aurèle. Je doute que ce soit possible. Elle passe son temps avec les terminales et n'enlève jamais son éternelle veste en cuir. J'ai décidé de ne pas la juger sur ses apparences ou sur ce que les gens disent d'elle, sinon je ne vaudrais pas mieux que les autres lycéens. Elle porte un carré brun bouclé assez court et ses yeux sont toujours rieurs.

- Je peux m'asseoir ? Demande-t-elle doucement, pour ne pas me brusquer.

- T'es déjà assise, remarqué-je.

- Oh, je vois. Donc ça veut dire "oui" ? Une once d'espoir traverse son regard.

- Non, ça veut dire "à tes risques et périls", rié-je.

Elle sourit doucement, et glisse son sac sous le siège devant elle. Elle connaît ma réputation, je ne vois pas pourquoi elle veut se mettre près de moi. Elle glisse un livre dans le filet et j'arrive à lire le titre écrit sur la couverture noire : Hunger Games. Elle n'est peut-être pas si horrible, après tout...

- Sinon, pourquoi t'es toujours seule ? Lâche-t-elle d'un ton nonchalant.

- T'es toujours aussi directe ? Répliqué-je, les yeux plissés.

- Ouais, sourit-elle.

- Ils ont peur de moi, avoué-je, piteuse.

C'est la première fois que je dis cette vérité à haute voix. Les mots ont franchi mes lèvres sans que je puisse les arrêter, comme s'il fallait que je le dise. Je fixe intensément mes chaussure, m'attendant à l'entendre se lever et partir ailleurs. Car les gens partent quand ils apprennent à me connaître, ils ne peuvent pas accepter quelqu'un qui ne leur ressemble pas. Mais il ne se passe rien, ce qui me pousse à relever les yeux vers elle.

- Je vois, soupire-t-elle. Tu sais qu'à cet âge, on est très con ?

- Mouais, marmonné-je, mais il n'y a pas d'exception à cette règle ?

- Si, et elle s'appelle Edwards, opine Astrid.

- Summer, la repris-je. Summer Edwards.

Le masque d'assurance qu'avait pris Astrid durant ces dernières minutes s'effrite sous mes yeux. Son sourire s'efface et ses yeux s'ancrent dans les miens, ils me sondent, comme pour savoir si je mens. Mais c'est la vérité, comme toutes les personnes au lycée l'ignorent, mon prénom est Summer. Même si tout le monde a pris la décision de m'appeler Edwards, je n'oublie pas qui je suis.

- Oh, murmure-t-elle, je savais pas.

- Personne ne le sait, ricané-je.

- Excuse-moi, Summer, bafouille-t-elle.

I WAS NOBODYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant