Sur tes pas

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Un silence inédit flottait dans le réfectoire comme un verre ralenti dans sa chute.

Zelda l'explosa en plein vol.

Sa frustration et sa détresse prirent le contrôle de son centre névralgique et décisionnel.

Un hurlement de rage, de douleur et de colère la prit aux racines même de son être, profond, authentique.

L'émotion se déchaîna hors d'elle.

Elle ne pouvait plus se contenir.

Elle n'y arrivait plus.

Elle hurla.

Hurla avec tant de puissance que sa cage thoracique fut sur le point de se décrocher.

Hurla à faire frémir ses poumons.

Cela l'accrochait aux tripes, au cœur, tout au fond ; la détresse n'en pouvait plus de se terrer sous un rocher de contenance, noir comme la suie.

Cela lui prit aux tripes. 

La bouteille d'eau émotionnelle se brisa.

Opale, Carmin, Gaepora, Hergo, Orbo, Latruche et même Them rivèrent sur elle un regard inquiet.


« Ils vont payer. Tous. »

A présent qu'elle avait cessé de porter sa voix, elle tremblait. Mi-rampante, mi-gigotante, elle se démena vers la seule porte du réfectoire, miraculeusement ouverte, à la force de ses bras et à l'aide occasionnelle de ses pieds. Elle ressemblait à un étrange poulet à trois pattes, tout sautillant vers la sortie.

Gaepora sortit de sa torpeur en premier et s'agenouilla devant elle.

« Ma toute petite, dit-il seulement.

— Pousse-toi, papa. Je vais les rôtir. Je vais les dépecer.  Je vais les anéantir.

— Zelda.

— Pourquoi, hein ? Pourquoi ? » sa voix était devenue redoutablement basse. « Pourquoi ils l'ont emmené ? ... Ils sont venus pour lui... Ils... »

Elle haletait. Ses doigts étaient raides, figés en l'air, la paume contre le sol, comme une étrange bête sur le point de se jeter sur son adversaire.

« Ils étaient venus chercher Link », acheva-t-elle dans un filet de voix.

Elle s'effondra sur le sol. Gaepora se rapprocha d'elle à pas de crabe. Dans l'état actuel des choses, elle était imprévisible, mieux valait se montrer prudent.

« Zelda, mon enfant. Viens là. »

Elle releva ses yeux gorgés de détresse et d'incompréhension. Deux morceaux de ciel troublé par un orage.  Elle s'avança du mieux qu'elle put, et s'accrocha à lui avec force. Ses mains agrippèrent sa tunique avec rage. Tout son corps était sous tension, comme un poisson-torpille sur le point de lâcher sa charge électrique.

« Je n'ai pas voulu écouter Link », martela-t-elle d'une voix hachée.

Gaepora comprit tout à coup que la principale source de sa colère était dirigée, non pas contre les monstres, mais contre elle-même.

« Je ne voulais pas savoir, articula-t-elle entre ses dents, serrées comme si elles voulaient compresser le vide. La prophétie avait changé. Je ne voulais pas... Je ne voulais pas que nous soyons de nouveau menacés. »

Son menton se mit à trembler. La tension de ses muscles marqua ses bras, son cou, et son visage, figé dans une grimace qui contenait l'énergie des larmes retenues.

Jusqu'aux étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant