Le Levant

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La longue convalescence de Link ne faisait que commencer. Il lui était impossible de rentrer en célestrier ; son oiseau ne l'entendrait pas. Il ne pouvait pas non plus rentrer à cheval. Et à pied, il ne fallait même pas y penser. Toute sa colonne le faisait souffrir. Elfy lui avait donné une canne pour qu'il pût rester debout et stable. Elle lui avait aussi permis d'écrire et d'envoyer une lettre à Célesbourg afin de les rassurer et leur indiquer où il était.

Le fait est qu'il cernait difficilement Elfy : quelle politique elle menait, quels objectifs elle poursuivait. Selon les personnes avec lesquelles elle parlait, elle changeait drastiquement de ton ou de posture. Cette femme caméléon avait d'étonnantes ressources comportementales.

L'épuisement ne l'aidait pas outre mesure. La reine lui avait expliqué que les monstres l'avaient empoisonné pour qu'il ne puisse pas se remettre. Heureusement, au vu de son sauvetage express, les doses de poison avaient été minimes. Elles étaient suffisantes, toutefois, pour le rendre – temporairement – chétif.

Il se passa ainsi trois ou quatre jours, où il était si fatigué qu'il ne pouvait rien faire d'autre que dormir entre les repas, ou se promener dans le château. La chambre qu'il occupait se trouvait au rez-de-chaussée, dans l'aile gauche. Ce n'était plus la chambre d'Herenya, qui se trouvait à l'opposé, mais elle n'en était pas moins confortable.

La bâtisse comportait deux étages, desservis par de larges escaliers en marbre, permettant le passage de plusieurs personnes à la fois – pour ceux qu'ils appelaient les "nobles", en tous cas. Les domestiques, eux, passaient par d'étroits escaliers en colimaçon, pour ne pas déranger leurs supérieurs. Link avait été inspecter leurs couloirs de passages : les marches en pierre étaient si foulées qu'elles en devenaient dangereusement glissantes.

En outre, on pouvait réclamer leurs services à toute heure de la journée, à l'aide de curieux bracelets connectés entre eux. Il suffisait d'appuyer sur un bouton, et le bracelet domestique vibrait en réaction, indiquant l'endroit où se trouvait son maître sur un cadran. Cela évitait qu'on les cherche partout. Étrange : des personnes payées à laver nos vêtements, nettoyer les salles, cuisiner... et recevant à peine plus de considération qu'une armoire. Cela, au moins, était représentatif d'un trait de personnalité d'Elfy, et de la manière dont elle gouvernait son royaume, dont elle considérait ses habitants.

La domestique qu'on avait affrété à Link était une jeune adolescente d'un enthousiasme peu commun, mais tout à fait professionnelle et rigoureuse. Malgré les coutumes locales, Link mettait un point d'honneur à lui parler comme à une égale – ce qui avait énormément surpris la jeune femme. Elfy lui avait expliqué que sa mère avait loyalement servi le royaume en étant une sage-femme extrêmement investie dans son travail. Elle était l'une des rares à avoir reçu les honneurs de la reine, très recherchés par la domesticité. Une fois qu'on a reçu les honneurs royaux, plus personne ne peut douter de notre efficacité, ni de notre loyauté.

Link n'aimait pas cette atmosphère. Il pesait sur les domestiques une constante remise en question de la qualité de leurs services, de la sincérité de leur loyauté. Leur position précaire les incitait à ne faire aucune erreur, rester en parfaite santé – un domestique malade est inutile - et disponible à tout moment.

Au soir du troisième jour, la jeune adolescente, qui s'appelait Pimprenelle, vint le trouver tout naturellement  pendant une de ses balades.

« Mon Seigneur, puis-je vous proposer mon aide pour prendre votre bain ? Mon Seigneur doit être très fatigué. Il risquerait de rencontrer des difficultés ou de se blesser en se lavant. »

Link la dévisagea avec des yeux ronds. Il ne se ferait jamais à cette appellation : mon Seigneur. La reine l'avait prévenu, les habitants du Levant le considéraient comme un dieu vivant. Et cette manière de lui parler, par tous les anciens dieux réunis, ça le glaçait de l'intérieur.

Jusqu'aux étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant