Chapitre 6

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En media, "Decency", Balthazar



Les résultats sont au courrier du lendemain.

C'est la semaine où je fais nocturne à la boutique. Un mardi sur deux, après la fermeture à dix-neuf heures, j'accueille certains habitués, qui viennent tous avec tarte salée, cake au jambon ou bonne bouteille et nous partageons un moment de convivialité en offrant, à tour de rôle, des lectures de passages de nos romans favoris. C'est l'occasion de se prêter des ouvrages, de les échanger, et pour la plupart de mes clients de les acheter car beaucoup de lecteurs aiment avoir leur propre exemplaire d'un livre qu'ils ont aimé.

Thomas me rejoint en fin de soirée et s'improvise en général agent de voyages. Le mot est passé entre les habitués qui attendent son arrivée pour lui demander des précisions sur telle ou telle destination. Son tour du monde qui me l'a volé il y a huit ans et sa passion des voyages font de lui un spécialiste en la matière. Il se soumet de bonne grâce aux questions autour d'un verre, puis quand le dernier client s'en va, m'aide à ranger avant de rentrer avec moi.

Il est près de vingt-trois heures quand nous arrivons à mon immeuble. Je vide la boîte aux lettres et trie le courrier dès mon arrivée dans l'entrée. L'enveloppe avec l'en-tête du laboratoire qui a effectué la prise de sang est là.

Quelques jours après le fiasco du don de sang et le repas dominical qui avait suivi chez mes parents, j'avais presque oublié ces événements, mais Tom avait insisté pour que je prenne rendez-vous chez un nouveau médecin pour faire réaliser l'hémogramme recommandé à l'EFS. J'avais tenté de louvoyer, persuadée qu'il ne s'agissait au final que d'un malentendu, mais le docteur Gaguenau, trouvé au hasard des pages jaunes et que j'avais consulté, avait pris l'histoire au sérieux et m'avait recommandé d'effectuer des examens sanguins au plus vite. J'étais allée au laboratoire dès le lendemain, soit vendredi dernier, et voici les résultats dans ma boîte aux lettres. J'hésite entre décacheter l'enveloppe pour avoir le cœur net, et l'enfouir sous la pile de publicité, ou au fond d'un tiroir, comme pour différer une nouvelle improbable qui pourrait me bouleverser. Mon brusque silence alerte Tom qui s'approche, sans bruit.

Il regarde l'enveloppe, puis me considère gravement.

— Ouvre, Lou, conseille-t-il, ou peut-être est-ce un ordre.

Je déchire le rabat de papier, en sort une feuille que je déplie et parcours des yeux, à la recherche de taux, de résultats que je pourrais comprendre. A cet instant, je ressens très nettement dans ma poitrine la sensation d'un petit bout de cœur qui se brise, comme un rocher qui se détacherait du reste de la paroi. Le début de l'éboulement. La première chute qui annonce la catastrophe.

— Je crois que c'est positif. Je suis atteinte de thalassémie.

Damned !

— Tu l'as dit.

***

Nous passons la nuit à faire des recherches sur internet, tenter de comprendre comment je peux être porteuse d'une maladie héréditaire méditerranéenne qu'aucun de mes parents n'a contractée. Comment mon médecin habituel a pu passer à côté toutes ces années. Tom me conseille d'attendre d'avoir revu Docteur Gaguenau, qui pourra mieux que moi interpréter les résultats avant d'en reparler à mes parents.

J'appelle le praticien à l'aube. Il a, lui aussi, reçu le bilan du laboratoire la veille et me confirme le diagnostic. Son ton est sombre, préoccupé et il me demande de passer au cabinet à midi et demi, il écourtera sa pause déjeuner pour me recevoir.

Casalnuovo RCOù les histoires vivent. Découvrez maintenant