Chapitre 11

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En media, "Heart of Gold", Johnny Cash





La vie reprend son cours. Finalement, ça ne change rien à mon quotidien, et c'est peut-être cela le plus perturbant. Comme un énorme séisme, qui aurait blessé les gens sans pour autant changer le paysage. Je me lève chaque matin, le plus souvent auprès de Tom, chez lui ou chez moi, puis je vais travailler. Le soir, je rentre, vais à la boxe, au ciné, ou dîner avec mes amies. Thomas, qui me connait si bien, a su trouver le juste milieu, et m'entoure sans pour autant m'étouffer.

Comme promis, Caro a mis au courant Charlotte et Capucine, et lors de notre réunion suivante, c'est moins pénible de parler de cette affaire sans avoir besoin de faire revivre le passé, encore. Elles me questionnent, certes avec curiosité, mais aussi beaucoup de pudeur, et s'intéressent davantage à mon ressenti qu'à l'analyse des faits. Cela me soulage de me confier à elles, mes amies les plus proches, et surtout, j'apprécie quand nous changeons enfin de sujet. La grossesse de Caroline tient une place importante dans la conversation, et c'est bien normal, puis nous dévions sur le travail de chacune, les amours de chacune et en bonus, la dernière expo au Pompidou.

Je n'ai pas encore revu mes parents. Par deux fois, j'ai eu ma mère au téléphone, pour des broutilles, mais nous n'avons pas abordé le sujet. Je rechigne un peu à y aller, j'ai peur que ce soit bizarre, de ne pas réagir avec eux de manière naturelle, surtout avec lui. Avec mon père. Je ne sais pas si nous pourrons retrouver la complicité qui nous unissait, que ce soit de son côté ou du mien, et je suis inquiète que la gêne ne s'immisce entre nous.

Ma mère finit par prendre les devants. Ce jeudi soir, et huit jours après la fameuse soirée où j'ai appris la vérité, mon téléphone sonne. Tom et moi lisons sur son canapé, je ne me méfie pas en voyant son numéro et prends l'appel.

D'une voix faussement joyeuse, d'une voix qui fait semblant, elle nous invite à déjeuner, le dimanche suivant, avec mon frère et sa famille. Sa proposition me prend au dépourvu, ce qui est ridicule car les repas en famille sont plutôt chose fréquente chez nous. Mais à son ton, je sens qu'elle a les mêmes craintes que moi, et au lieu de me rassurer, cela m'angoisse davantage, comme si ça les justifiait. J'accepte mollement son invitation, me demandant déjà ce que je vais pouvoir inventer pour me dédire, et raccroche. Je pose mon mobile à côté de moi et reste silencieuse quelques instants avant d'annoncer à Tom, d'une voix que j'aurais aimé plus ferme :

— Dimanche midi, on mange chez mes parents, si ça te va.

— Hin hin, fait mon amoureux, sans relever les yeux de sa lecture. J'avais cru comprendre.

Je n'ajoute rien devant son absence de réaction et pose ma joue dans ma main, en proie à une réflexion intense.

— Besoin d'aide, peut-être ? me demande-t-il d'un ton tranquille.

— Pour ?

— Pour trouver une excuse, histoire de ne pas avoir à aller à ce déjeuner.

Il ferme son livre, retire ses lunettes et penche la tête de côté, m'observant avec attention. Cet homme me connait beaucoup trop bien.

— Je ne sais même pas pourquoi je n'ai pas envie d'y aller.

— La première fois, c'est la plus dure. Tu te souviens quand on s'est revu ? Chez Nico et So déjà, puis au baptême, en vacances... A chaque fois notre relation progressait un peu. Laisse-toi le temps d'apprivoiser cette situation nouvelle petit à petit, mais ne recule pas. La distance ne t'aidera pas, au contraire. Plus tu attendras pour revoir tes parents, plus ce sera difficile.

Je hoche la tête pensivement.

— Ce qu'il y a, c'est que j'ai peur. Et je déteste avoir peur.

Casalnuovo RCOù les histoires vivent. Découvrez maintenant