Chapitre 42

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En media, "perfect day" (version acoustique), Lou Reed






Le temps fait son œuvre.

Tom m'a rejointe il y a deux semaines, et nous avons appris à vivre avec nos nouvelles compagnes : sa béquille, mon sentiment de culpabilité. C'est parfois difficile, elles sont bien encombrantes toutes les deux, mais on s'en accommode plutôt pas trop mal. Les moments de découragement sont nombreux chez mon amoureux, mais s'espacent au fils des jours et la résilience fait son chemin. Chaque nuit, je tente de lui redonner confiance en lui. Il a fallu y aller en douceur, ne pas dramatiser les échecs, user de patience parfois, tout faire pour apaiser son corps meurtri. Nous découvrons des positions inédites, certaines qui sont de vraies réussites, d'autres qui se soldent par un fou-rire, mais peu importe, nous sommes sur la bonne voie, et chaque éclat de rire, que ce soit au creux de notre lit ou dans la vie quotidienne me rapproche un peu du Tom que j'ai connu. Parce qu'il a changé. Il a des sautes d'humeur fréquentes, se fatigue plus facilement, dort mal. Et parfois, je surprends son regard inquiet, alors qu'il semble plongé dans ses pensées. L'assaut brutal du chagrin sur ses traits doux. Le neuro-rééducateur qui l'a suivi au centre m'a conseillé de débuter une thérapie à notre retour en France. Ces effets, syndromes post-traumatiques devraient s'estomper au fils des mois, et entre chacun de ces moments, je retrouve mon Thomas. Drôle, tendre, farfelu. Et je l'aime encore plus qu'avant.

Il a effectué sa dernière séance de rééducation au centre Santa Catarina hier, nous avons expédié par colis la plupart de nos affaires, et nos dernières valises sont prêtes, nous avons hâte de quitter la ville, aussi charmante soit-elle, pour retrouver nos amis, notre famille, notre librairie. Notre vie. Comme avant, même si nous savons que plus rien ne sera jamais pareil. Ce sera mieux encore, car ce voyage, ces épreuves nous auront permis, si c'était nécessaire, de nous prouver la force de notre amour, de notre engagement mutuel.

Néanmoins, malgré notre empressement de retrouver notre pays, j'ai décidé de lui réserver une surprise, sur le chemin du retour. Un point final à cette parenthèse italienne. Pour que nos derniers souvenirs ici n'aient pas pour cadre un appartement déprimant dans la nouvelle ville de Salerno.

Je ne lui avoue la vérité qu'à l'aéroport de Naples. Inquiet, il recherche notre vol dans le hall d'enregistrement des bagages.

— Tu es bien sûre qu'on part d'ici ? Je ne vois rien pour Luxembourg...

— C'est parce que tu ne cherches pas la bonne destination, réponds-je tranquillement.

— T'as pris un vol pour Paris ? Mais on va devoir se taper le train à l'arrivée ! Tu as réservé les billets au moins ? râle-t-il.

— Non, pas pour Paris, pour Florence.

Il s'arrête, interdit, et me considère quelques secondes, sans comprendre. Je décide donc de lui livrer mes raisons.

— Tu te souviens, le jour où tu m'as rejointe à Casalnuovo, tu m'avais proposé de passer quelques jours à Florence, quand tout serait fini. Alors voilà, je n'ai pas oublié...

— On... on va à Florence ? bégaye-t-il.

— Oui, une petite pause de trois jours, si tu es d'accord, proposé-je, soudain inquiète qu'il ne préfère rentrer directement.

— Si je suis d'accord ? Bien sûr que je veux y aller ! Oh Lou, tu ne fais pas souvent de surprise, mais alors, ça vaut le coup !

Il y a cinq mois, Tom m'aurait soulevée, fait tourner dans ses bras en m'embrassant. Il esquisse le geste puis s'arrête brusquement, le handicap stoppant la spontanéité. Il se contente finalement d'ouvrir son bras gauche, celui qui ne tient pas sa béquille pour que je vienne me blottir contre lui.

Casalnuovo RCOù les histoires vivent. Découvrez maintenant