Chapitre 16

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En media, "Jimmy", Moriarty

Tout au long des semaines suivantes, nous passons nos soirées libres à accumuler les données, jusqu'à l'écœurement. Visionnages de films ou séries, lecture de livres et feuilletage de documentaires, fiches à l'appui : les différents types d'organisation dans le monde, puis plus spécifiquement, la mafia italienne et calabraise, la 'Ndrangheta : hiérarchie, rites et habitudes, activités criminelles. Les informations sont difficiles à dénicher, il n'y a pas de repenti connu, et cette branche est assez peu médiatisée, surtout comparée à ses voisines, la Cosa Nostra et la Camorra. Je vois enfin clair dans le jeu de Tom. Préparer le voyage, oui, mais surtout espérer qu'avec cette overdose de renseignements, je prendrai enfin conscience de la dangerosité d'une telle organisation. Et pourtant, le pauvre, il s'est lourdement trompé, pour une fois. Contrairement à ses attentes, cette surcharge d'informations ne fait que m'attirer davantage vers la Calabre, mes origines, je n'en ai que plus envie de découvrir, de comprendre comment on devient ce type de monstre. Je ne peux pas croire qu'il ne s'agit que d'hommes attirés par le pouvoir ou l'appât du gain. Je me demande, puisque mon père est un sociopathe, si cela se transmet par les gènes. Est-ce que je suis ainsi aussi en réalité ? Je remets en perspective chacun de mes défauts. Dure, parfois caractérielle, indépendante... Sa faute à lui ? Où cela me mènera-t-il ? Vais-je finir par descendre un jour un client qui m'aura mal parlé, un voisin qui aura sali le couloir, un automobiliste qui ne me laissera pas la priorité sur le passage clouté ?

Je suis au bord de la crise existentielle et la présence de Tom à mes côtés ne m'aide pas à gérer cette déficience identitaire, au contraire. J'ai l'impression qu'il s'efforce de faire en sorte que notre quotidien ne change pas malgré les récentes révélations, alors que pour moi, tout a changé. Ce que je croyais acquis n'est plus, et j'ai la sensation de ne plus savoir qui je suis au fond.

***

Nous avons commencé à rechercher un appartement. J'ai pris rendez-vous avec mon banquier pour voir combien je peux emprunter, et Thomas a recontacté Madame Grangier, qui s'était occupée de lui trouver celui qu'il loue actuellement. Malheureusement, dans l'état d'esprit qui est le mien en ce moment, il m'est impossible de pouvoir me projeter ailleurs que chez moi. Nous visitons plusieurs appartements, mais trop bruyant, trop haut, trop de carrelage, trop loin de la librairie... rien ne me convient. L'agent immobilier, auparavant heureuse de retrouver Thomas et ses revenus, commence à perdre sérieusement patience.

Ce soir, alors qu'elle nous propose un énième bien, je pinaille encore sur des détails –cage d'escalier exiguë, évier en inox pénible à nettoyer, vue pas terrible depuis la fenêtre de la seconde chambre- et elle frôle la crise de nerfs. Je sens qu'elle s'exhorte au calme en s'adressant à moi mais cela fait déjà bien trois appartements qu'elle a perdu le peu d'amabilité dont elle faisait preuve à mon égard.

Thomas finit par la prendre à l'écart et lui murmurer je ne sais quoi. Elle me jette un regard excédé et nous quittons l'immeuble, elle en faisant claquer ses talons hauts pour manifester son mécontentement, moi la tête basse comme une enfant à qui on aurait signifié qu'elle était trop capricieuse. Arrivés dans la rue, elle nous serre froidement la main et nous quitte sans un mot de plus.

— Chez toi ou chez moi ? me demande Tom, assez sèchement, quand nous nous retrouvons seuls.

— Comme tu veux...

— Ok. Chez moi.

— Tom... je suis désolée, je ne voulais pas...

— On règlera ça à la maison.

Nous marchons en silence. Je vois qu'il est vraiment contrarié, et je le suis piteusement jusqu'à chez lui. Il attaque dès la porte de son appartement refermée. Je le sens exaspéré par mon attitude, bien qu'il s'efforce de rester calme.

Casalnuovo RCOù les histoires vivent. Découvrez maintenant