En media, "Girl, you'll be a woman soon", Urge Overkill
Casalnuovo, Calabre, juin 1987
— Peppina !
La jeune femme soupire, pose son tube de rouge à lèvres sur la tablette de marbre qui lui sert de coiffeuse.
— Che voi, Mamma ? crie-t-elle en direction de sa mère à l'étage du dessous.
— Viene qua !
— Qu'est-ce qu'il y a ? demande la jeune femme en descendant. Je vais être en retard, Salva ne va pas tarder.
Rosa contemple sa fille, apprêtée, maquillée. Si jolie dans sa robe légère. Elle se demande simplement si Giuseppina peut encore porter du blanc.
— Tu sors encore ce soir ?
— Oui, répond la jeune femme avec impatience. Salvatore m'emmène au cinéma.
— J'avais besoin d'aide pour écosser la fagiola...
La belle hausse les épaules.
— Tu n'as qu'à en faire moins, de toute façon il n'y aura que papa et toi.
Le père entre à cet instant, traînant ses savates. Il pose son journal sur la table de la salle qui conjugue cuisine, salon et pièce de vie et jette un coup d'œil à sa fille avant d'aller s'assoir dans son éternel fauteuil.
— Tu sors encore ce soir ?
Excédée, elle lève les yeux au ciel, et remonte dans sa chambre sans daigner répondre. Giuseppina commence à se sentir à l'étroit chez elle. Depuis qu'elle fréquente le beau Salvatore, elle a du mal à supporter ses parents. Ils sont tellement simples.
Elle termine de se farder, attrape le sac à main Gucci que lui a offert son amoureux, et quitte la maison en lâchant à peine un ciao à ses parents.
Il est déjà là, dans sa belle Alfa-Romeo 75 rouge, lunettes noires sur le nez, gomina et chemise ouverte sur les chaînes en or entremêlées dans les poils noirs de sa poitrine virile. Si Giuseppina n'était pas si amoureuse, elle se rendrait compte du cliché ambulant au bras duquel elle se promène. Mais elle est fière. Salvatore est bel homme, malgré ses yeux un peu tombants, il est riche, et il la sort. Elle se demande parfois d'où vient tout cet argent, car Salva ne travaille pas. Enfin, il travaille, mais... pas comme les autres. Il sait se débrouiller, se dit-elle, il fera un bon mari. Pourtant, elle se pose des questions quand elle l'attend longtemps, dans la voiture devant tel ou tel commerce. C'est rare, mais ça arrive. Il rejoint toujours un de ses amis, Emilio, Tony ou le gros Elio. Elle ne l'aime pas celui-là. Il a des yeux porcins qui la détaillent en permanence. Quand il la regarde, elle a l'impression d'être nue.
— Ciao Bella, fait le jeune homme en l'embrassant, alors qu'elle se glisse à côté de lui dans la voiture.
— Pas ici, Salva, souffle-t-elle en rougissant.
Il lui reste assez de respect pour ses parents pour éviter de se donner en spectacle devant les voisins.
Salva rit, et place sa main tout en haut de la cuisse de celle qui est désormais sa propriété, avant de redémarrer.
Ce soir, justement, il a une « course à faire » avant la séance de cinéma. Il récupère Tony un peu plus loin avant de s'arrêter devant l'edicola de Pietro Pugliese. Ils sortent de la voiture en rigolant, et le cœur de Peppina se serre quand elle les voit entrer. Ils ressortent quelques instants plus tard, sans n'avoir rien acheté. Elle a peur de comprendre ce qu'ils sont allés faire chez Pugliese, mais Salva n'aime pas qu'on le questionne, alors elle fait la sotte, et c'est mieux ainsi.
Ils se serrent la main, et Tony s'éloigne en faisant un signe à la jeune femme dans la voiture. Mal à l'aise, elle fait semblant de ne pas le voir, le regard fixé sur un point droit devant elle. Salva remonte à ses côtés, il est de très bonne humeur. Direction la salle de cinéma.
***
Pasquale et Rosa Zanutti ne savent pas trop quoi penser de Salvatore. C'est un beau jeune homme, il n'est certes pas très aimable avec eux mais qu'importe, il supporte leur fille et Peppina, à ses côtés, retrouve un peu de la réserve qui lui fait défaut.
Bien sûr, ils savent qui il est, et ça les gênent un peu. Ils entendent les rumeurs, celles qui disent que Salvatore n'est pas un honnête homme, qu'il est le neveu de Falcioni, le parrain local, qu'ils vendent leur fille à un mafieux de bas étage. Mais ils n'ont pas le courage de s'opposer à lui. Que se passerait-il s'ils interdisaient à Giuseppina de le fréquenter ? Et puis, égoïstement, ils savent qu'avec lui, leur fille aura une belle vie. De l'argent, du pouvoir. Et s'il se décidait à l'épouser, peut-être qu'eux aussi. Salvatore trouvera bien une maison un peu plus spacieuse et moderne pour ses nouveaux beaux-parents. Finalement, il vaut sans doute mieux être de ce côté de la loi. Eux, ils ont toujours été honnêtes, on ne peut pas dire que ça leur a réussi.
***
Salvatore n'aime pas le cinéma. Il trouve que c'est du temps perdu et que les sièges de l'unique salle de la ville puent le pauvre. Il préfère boire des verres avec ses copains, traîner dans leurs belles voitures rutilantes, se pavaner dans des endroits où ils peuvent exhiber leurs billets pour payer un verre. Mais Peppina adore les films et Salva sait que la belle est toujours plus docile quand elle passe une bonne soirée. Pourtant ce soir, il la trouve tendue malgré tout.
Ses sourcils sont froncés quand elle renfile sa robe à l'arrière de l'Alfa-Roméo.
— Che succede Bimba ? interroge le mafieux. C'est quoi cette tête que tu me fais ? Je te sors et ça ne va quand même pas.
— J'ai une mauvaise nouvelle. Je ne sais pas comment te l'annoncer parce que ça va te fâcher.
— Parle.
— Eh bien... Je suis contrariée parce que la fille de la cousine de ma mère arrive samedi prochain, et il faudra que je m'occupe d'elle. On ne pourra pas se voir aussi souvent. C'est une française, une vraie bêcheuse. Ses parents veulent qu'elle vienne pratiquer un peu l'italien car ils espèrent lui trouver un bon boulot de dactylo à Nice où ils habitent, et être parfaitement bilingue pourrait l'aider.
— Quel âge a-t-elle ?
— Deux de plus que moi, vingt ans.
Salvatore hausse les épaules.
— Bah, on la sortira, ça fera une compagne pour Tony ou Rico.
— Non, tu n'as pas compris, c'est une sainte Nitouche, elle ne voudra jamais venir avec nous. Toujours dans les jupes de sa mère, je suis sûre qu'elle est encore vierge.
— Pas comme toi, hein, Monella...
— Salva, tu peux toujours m'épouser.
— Ça viendra Peppina, sois sage et ça viendra. T'es encore un bébé. Et en attendant, retire-moi de nouveau cette robe, que je teste encore un coup la marchandise.
Pepina soupire mais s'exécute. Il est riche et il est beau, mais il est un peu lourd quand même.
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Casalnuovo RC
عاطفيةAprès des années d'errance, Louise est enfin heureuse. Elle a retrouvé son Thomas, et ils ont ouvert il y a un an la librairie dont elle rêvait. Mais le passé revient la hanter et commence alors une longue quête d'identité, qui la mènera jusqu'en Ca...