Chapitre 35

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En media, "L'amour en solitaire", Juliette Armanet

Je ne suis pas très chanson française, mais j'aime beaucoup ces paroles.






« — C'est Colin, dit Isis. Colin, je vous présente Chloé.

Colin avala sa salive. Sa bouche lui faisait comme un gratouillis de beignets brûlés.

— Bonjour, dit Chloé.

— Bonj... Êtes-vous arrangé par Duke Elligton ? demanda Colin. Et puis il s'enfuit, parce qu'il avait la conviction d'avoir dit une stupidité. »

(Boris Vian, "l'écume des jours")



Tom a été opéré hier, pour la dernière fois. Greffe de muscle. Sa jambe est plâtrée jusqu'au bassin, surélevée pour éviter les phlébites. J'ai demandé à l'infirmière qu'elle m'écrive de manière concise les derniers examens et tout son suivi pour que je puisse traduire tranquillement. Charlotte, dans la salle d'attente, s'en charge pendant que je reste seule auprès de Thomas. Nous sommes parties tôt ce matin, après nous être retrouvées en dehors de la ville, pour rejoindre Salerno.

Aujourd'hui, cela fait une semaine qu'il est dans le coma. Il sent le talc et le savon, le personnel prend bien soin de lui. Elles lui ont coupé les ongles, rasé la barbe, je suis un peu déçue, mais je peux caresser sa fossette. Sa poitrine se soulève régulièrement, au rythme du respirateur qui entrave toujours sa bouche fine. Les petits points rouges, signe de l'asphyxie de l'embolie, ont disparu à présent, il aurait presque bonne mine.

Je lui raconte la suite des événements, notre plan, ce qu'il a manqué depuis qu'il dort ici, puis après le passé, à défaut de présent à partager, j'enchaîne sur le futur : tout ce que nous ferons ensemble quand on se sera sortis de ce mauvais pas, les rêves, les projets. Quand les larmes me montent aux yeux parce que je ne sais plus quoi lui dire, je sors le cadeau de Charlotte, et lui lis les premiers chapitres de son livre préféré, « L'écume des jours ». J'aime ce roman, mais je n'ai pas la passion que Tom éprouve pour cet auteur, et cette histoire en particulier.

Souvent il me lisait des passages. « Écoute comme c'est beau » disait-il, presque bouleversé par tant de poésie.

« — Elle a un nénuphar ? demanda Nicolas, incrédule.

— Dans le poumon droit, dit Colin. Le professeur croyait que c'était seulement quelque chose d'animal. Mais c'est ça. On l'a vu sur l'écran. Il est assez grand, mais, enfin, on doit pouvoir en venir à bout.

— Mais oui, dit Nicolas.

— Vous ne pouvez pas savoir ce que c'est, sanglota Chloé, ça fait tellement mal quand il bouge !!!

[...]

— Le docteur veut qu'elle aille à la montagne, dit Colin. Il prétend que le froid tuera cette saleté...

— C'est sur la route qu'elle a attrapé ça, dit Nicolas. C'était plein d'un tas de dégoutations du même genre.

— Il dit aussi qu'il faut tout le temps mettre des fleurs autour d'elle, ajouta Colin, pour faire peur à l'autre.

— Pourquoi ? demanda Nicolas.

— Parce que s'il fleurit, il y en aura d'autres. Mais, on ne le laissera pas fleurir... »

Moi, ce que je trouvais bouleversant, c'est cet homme-là, sur mon vieux canapé, avec son sweat à capuche d'éternel ado et ses lunettes sur son nez droit, qui me faisait la lecture, parce qu'il avait envie de partager avec moi le romantisme surréaliste de l'auteur. Je donnerais tout ce que j'ai pour revenir en arrière, pour revivre ces moments.

Casalnuovo RCOù les histoires vivent. Découvrez maintenant