En media, "Via con me" Paolo Conte
A l'aube, la 207 de ma mère est garée devant chez mes grands-parents, prête, chargée. Mon père essaie encore de convaincre son épouse de partir avec la Passat familiale, bien plus spacieuse, mais elle refuse pour la centième fois, arguant qu'elle préfère conduire sa petite voiture.
Ouais, c'est pas toi qui vas te taper mille bornes sur la banquette arrière, les genoux au niveau du menton.
Je ne dis rien, je connais déjà la réplique de ma mère : « si tu avais passé ton permis quand on t'a dit de le faire, tu aurais pu conduire ! » Autant m'épargner ça.
Je regarde les deux couples s'étreindre, un peu moqueuse. L'un comme l'autre, ils n'ont jamais été séparés aussi longtemps, en tout cas pas ces dernières années. J'entends les hommes faire leurs recommandations :
— Arrêtez-vous régulièrement, n'attends pas d'être fatiguée. Sois prudente. Attention, l'essence est chère en Suisse. D'ailleurs, tout est cher en Suisse. Et surtout, garde tes distances sur l'autoroute.
— Prends ta canne si tu marches beaucoup, et ne te lève pas trop vite le matin, ça te fait tourner la tête. Embrasse bien ta cousine, et ramène-moi de la bière italienne et de l'origan. Fais attention à toi, on n'a plus l'âge de faire les fous, ma Prunelle.
Pourtant, au moment de monter en voiture, je fais moins la fière. J'embrasse tendrement mon Thomas qui va aussi me manquer. Je sais que ces quelques jours vont être chargés en émotion, et je redoute de ne pas l'avoir à mes côtés pour m'aider à gérer cela.
— Allez Babe, ça va passer vite... souffle-t-il à mon oreille.
— Oui, je sais, mais...
Il prend mon visage en coupe, et plante ses yeux bleus dans les miens.
— Je t'aime.
— Moi aussi je t'aime, Tom, réponds-je, la gorge nouée.
— Tu m'appelles si tu as besoin. A n'importe quelle heure.
— Ça marche. A mercredi.
Après un dernier baiser, je m'engouffre dans la voiture et lui adresse un signe, alors que ma mère démarre. Nous nous éloignons, et par la lunette arrière, je le vois échanger quelques mots avec mon père et mon grand-père, puis la voiture tourne au bout de la rue, et Tom disparait.
Il n'a pas été évident de convaincre Rosa d'accepter notre visite. Je crois que depuis ma naissance, elle redoutait ce moment, ce jour où, à son tour, elle devrait se remémorer ce cauchemar.
Quand ma grand-mère l'a appelée, elle a commencé par refuser. Fatiguée, malade, pas le temps, toutes les excuses y sont passées. Mais Mamie Prune n'a pas la langue dans sa poche et nous partageons la même opiniâtreté. Elle n'a pas lâché le morceau, jusqu'à ce que sa cousine murmure un « Va bene », enfin vaincue.
Le début du trajet se déroule en silence. Ma maman est concentrée sur la conduite, ma grand-mère somnole, et moi, je laisse mon esprit divaguer, les yeux sur le paysage. Il faut absolument que j'arrive à convaincre Rosa de me donner le nom de Salvatore. J'ai besoin de savoir, de connaître le nom que j'aurais pu porter. Il est peut-être mort, ou redevenu simple citoyen, ou chef de la mafia calabraise, je m'en fiche. Je veux juste connaître son nom. Et son visage. Voir si je lui ressemble. Je veux le connaître, même si je ne le rencontre jamais.
Nous nous arrêtons à Saint-Louis, juste avant la frontière pour une petite pause-café, et reprenons la route jusqu'à passer le tunnel du San Gottardo, qui relie la Suisse française à la Suisse italienne. Un grand soleil nous attend de l'autre côté de la montagne, nous sommes déjà un peu en Italie.
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Casalnuovo RC
RomanceAprès des années d'errance, Louise est enfin heureuse. Elle a retrouvé son Thomas, et ils ont ouvert il y a un an la librairie dont elle rêvait. Mais le passé revient la hanter et commence alors une longue quête d'identité, qui la mènera jusqu'en Ca...