Chapitre 40

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En media, "Reckoner", Radiohead

(Ma chanson préférée du groupe 😁)



Mercredi 14 août. Cinq jours. Je suis ici depuis cinq jours. L'accident est arrivé il y a trois semaines exactement. J'ai dû aller passer la journée à Polistena hier, car j'étais convoquée au Commissariat. J'ai pris le train, tôt le matin, et Enzo m'a ramenée en fin de journée, il en a profité pour passer la soirée avec Charlotte et moi, et surtout la nuit avec sa belle. Ça m'émeut de les voir ensemble. Si mon amie est égale à elle-même, je trouve Enzo transformé par le bonheur. Il a un air que je ne lui avais jamais vu encore. L'air heureux. Je ne sais pas s'ils ont déjà évoqué l'avenir, quand Charlotte reprendra le travail à deux mille kilomètres d'ici, mais pour le moment, ils semblent profiter du temps passé à deux.

Hormis mon aller-retour express d'hier, je passe toutes mes journées au chevet de mon homme. Je vois, d'heure en heure, les progrès qu'il fait même si c'est surtout déstabilisant pour moi de le voir bouger, ouvrir les yeux, sans toutefois qu'il ne soit vraiment conscient. De la phase végétative, il est passé à l'état de conscience réactive, et chaque jour, ses réactions s'enrichissent davantage. Il parle parfois, d'une voix éraillée, sans que cela n'ait encore du sens, me regarde sans me voir, réagit à des ordres, mais nous ne pouvons pas encore communiquer à proprement parler. Chaque matin, lorsque j'entre dans sa chambre, j'espère le voir attablé devant un plateau de petit déjeuner, mais il n'en est rien. Et chaque matin, quand j'arrive, je suis toujours un peu déçue de le voir allongé, les yeux fermés, ou le dos relevé, regardant fixement devant lui. Pourtant, plus question de me laisser abattre. On a vaincu tant d'épreuves ensemble, que je ne me sens plus inquiète pour la suite. Pour la première fois de ma vie, j'apprends à être optimiste, à voir chacun de ses infimes progrès comme les prémices de la fin du cauchemar.

Alors, je fais tout ce que je peux pour l'aider. De la lecture déjà, ses livres préférés que Charlotte avait apportés, et aussi « The picture of Dorian Gray », en VO, je me souviens qu'il l'a lu plusieurs fois, et notamment ce soir, où je l'avais rejoint au bar de son hôtel, il y a deux ans. J'ai l'impression que c'était une autre vie. J'ai déniché l'ouvrage à la bibliothèque de l'hôpital, et je m'entraîne à lire en anglais.

Je lui fais aussi respirer un tas d'odeur, qui peuvent lui rappeler de bons souvenirs. Mon parfum déjà, mais aussi celui du linge frais, du basilic ou du thé noir à la bergamote. Et puis, on écoute de la musique. Je mets l'enceinte bluetooth qu'il m'a offerte, son au minimum, pour ne pas déranger le personnel et les visiteurs, et diffuse ses groupes et chanteurs préférés. Radiohead, les Velvet Underground, Johnny Cash, David Bowie, Iggy Pop, Balthazar...

Parfois, je danse avec lui, pour lui faire faire un peu d'exercice. Je saisis ses mains tièdes, et les fais bouger de droite à gauche, mais quand je les lâche, elles retombent toujours mollement de part et d'autre de son corps.  Je lui masse les mains et les pieds, pour le décontracter, l'apaiser, parce que c'est aussi une manière de prendre soin de lui, de lui montrer combien je l'aime.

Et puis, souvent, je me blottis contre lui. J'écoute nos cœurs battre à l'unisson, ou je lui raconte ce que sera notre vie plus tard, ce que je suis en train de lire, les étoiles dans les yeux de Charlotte, la dernière gaffe de Capucine, la grossesse de Caro, les progrès de notre filleul qui grandit.

Charlotte prend le relais deux ou trois heures dans la journée, le temps que je prenne l'air dans le parc du centre hospitalier, ou le soleil sur une terrasse de bar. Elle repartira pour la France dans une dizaine de jours, pour préparer sa rentrée et j'envisage de louer un studio meublé, car je sens que mon séjour ici est loin de s'achever.

Casalnuovo RCOù les histoires vivent. Découvrez maintenant