Chapitre 19

441 48 193
                                        

En media, "On ne dit jamais assez aux gens qu'on aime qu'on les aime",  Famille Chedid



— Douze jours, souffle Tom d'une voix d'outre-tombe quand mon index appuie sur le bouton « valider votre réservation ».

Il se détourne et je me lève pour aller le rejoindre. Le dîner a eu lieu la veille, et dès mon petit déjeuner avalé, avant d'aller ouvrir la librairie, j'ai réservé mon billet, un aller simple. Il y a un vol tous les dimanches, le prochain me paraissait un peu précipité, j'ai réservé le suivant. Dimanche neuf juin. Douze jours.

Il me tourne le dos, et mon cœur se serre. Je sais combien il est difficile de voir l'autre préparer un voyage en solitaire. Il y a neuf ans, quand la situation a été inversée, je n'ai pas réussi à rester à ses côtés et je l'ai quitté avant son départ. Mais depuis, nous avons appris de nos erreurs, et je n'ai aucune raison de douter de Tom. Pourtant, je sais ce qu'il ressent.

— Tom... murmuré-je en m'approchant de lui. Je te jure que ça va passer vite.

— Arrête, Lou. Tu n'as aucune idée du temps que tu vas rester là-bas. Tu y seras peut-être encore dans six mois. Tu ne reviendras peut-être jamais. Et tu me laisses avec cette librairie sur les bras, alors que je me suis démené pour réaliser ton rêve. Et en aucun cas tu ne me demandes mon avis. Tu me laisses spectateur de ta vie, refusant mon aide, ma présence.

Tout ça, c'est ce qu'il aurait pu me dire, en toute légitimité. Et pourtant, aucun de ces reproches ne sort de sa bouche, comme une preuve d'amour supplémentaire.

Sa bouche tremble un peu, son regard est douloureux, mais il prend sur lui, et reste muet. Je prends son visage en coupe, caresse ses traits fins, du bout des doigts et il ferme les yeux.

— Tu vas tellement me manquer.

Nous prononçons la même phrase, en même temps. Un sourire triste nous échappe, et Thomas soupire.

— Allez, Babe, il faut qu'on y aille, on va être en retard pour ouvrir.

Je le retiens encore un instant, et l'étreins tendrement, puis, nous nous mettons en route, toujours enlacés.

Depuis l'ouverture, Tom est souvent venu me donner des coups de mains à la librairie, en cas de monde, ou pour me remplacer quelques heures, il est à l'aise en vente, mais c'est moi qui gère les comptes, le réassort ou les retours, les commandes de nouveautés, et la mise en place des rayons. Puisqu'il va prendra la suite dans deux semaines, il faut que je le forme. C'est pour nous l'occasion de passer nos journées ensemble, et donc de profiter l'un de l'autre avant mon départ. Nous décidons de suspendre les extras le temps de mon absence : anniversaires, club-lecture adultes et lectures offertes aux enfants le samedi matin. Nous sommes fin mai, la saison est plutôt calme, et ce sera le cas les deux mois suivants, avant le rush de septembre avec la rentrée scolaire et littéraire, j'espère être rentrée à ce moment-là. Je vois bien que Tom met la meilleure volonté du monde pour m'écouter et enregistrer les informations que je lui égraine, mais son côté dilettante prend le dessus et il a du mal à fixer son attention. Je finis par prendre un cahier où je liste les tâches quotidiennes, les principaux fournisseurs, tout ce qu'il aura à faire durant mon absence. Il faudra aussi qu'il gère le côté salon de thé, avec les commandes de boissons, la vaisselle. Les gâteaux sont heureusement livrés par la boulangerie voisine désormais, il n'aura qu'à continuer de payer la note une fois par semaine, comme il le fait déjà. Une fois encore, je prends conscience de tous les effets collatéraux de mon départ. Je me maudis intérieurement d'avoir tant précipité ma fuite, j'aurais dû embaucher une étudiante, quelques mois pour épauler Tom, mais c'est trop tard maintenant.

Casalnuovo RCOù les histoires vivent. Découvrez maintenant