"-Que fais-tu là ? demandé-je sans politesse avec une voix âpre."
Il esquisse un rictus qui se veut sympathique mais qui me provoque surtout des frissons dans tout le corps d'angoisse.
"-Je suis venu voir comment se portait la petite princesse, réplique-t-il d'un air douceâtre, trop pour être vrai."
Son regard brun hautain me scrute sans aucune gêne, attendant mes mots. Forcée de riposter, je prends la parole froidement.
"-Je vais bien John, merci. Excuse-nous, nous allions partir, n'est ce pas Enzo ?"
Mon copain dépose deux billets sur la table avant de se lever, d'entrecroiser nos doigts pour signifier à John de nous laisser, s'empare de nos paquets et sort du restaurant. Je reste sur ses talons, presque en courant tant son allure est rapide. Il se dirige vers la sortie du centre commercial et déclare.
"-On rentre."
Je ne proteste pas. Ce n'est pas le moment. Son visage qui, il y a quelques minutes rayonnait, est désormais rubicond de colère. Ce sentiment se confirme par la force avec laquelle il enserre mon poignet. Il m'agrippe si fort que ses jointures deviennent blanches. Je l'ai déjà vu furieux, ce n'est pas nouveau. Seulement, je ne m'y habituerai jamais. Quand il est ainsi, je le sens distant, muet. Tellement que je suis terrifiée à l'idée que sa rage ne l'aveugle et ne laisse plus de place à l'amour qu'il me porte, qu'il me rejette et ne veuille plus de moi dans sa vie. J'essaie de me persuader qu'il n'en est rien, cependant ces pensées m'obnubilent. Trop. Je ne supporterai pas de ne plus le trouver dans la cuisine chaque matin, son petit sachet en carton à la main contenant un croissant. Je ne supporterai pas de ne plus le voir sourire à chacune de mes taquineries. Je ne supporterai pas de ne plus recevoir autant d'amour que j'en donne.
Durant toute ma vie, cela a été ainsi. Je me sentais malaimée. Malgré celui de mes amies, de ma famille, je ne me trouvais pas heureuse. J'ai découvert le bonheur, le vrai, mais également le malheur avec Enzo et j'apprécie cela. Je me sens vivre. Vraiment. Pas vivante pour croupir dans ma chambre à lire, à travailler, à danser, à bricoler toutes sortes d'objets. En vie comme un feu ardent. Braise qu'il a allumé et qu'il continue d'alimenter chaque jour. Toutefois ces excès de fureur sont comme des gouttelettes d'eau, prêtes à tomber pour éteindre l'incendie chaque seconde.Il nous entraîne vers mon bungalow. Je n'aime pas y aller, je ne fais qu'y croiser Evy. La dernière chose dont j'ai besoin est qu'elle sache qu'il y a de l'eau dans le gaz entre nous car la tempête n'est pas loin. Sur le perron, je l'empêche d'entrer en prenant son visage en coupe entre mes mains.
"-Enzo, regarde-moi. Enzo. . ."
Réticent au début, il finit par obéir.
"-Calme-toi, s'il te plaît."
Il se dégage de mon emprise et me lance.
"-Ne t'en mêle pas."
Il s'éloigne à grandes enjambées, me laissant plantée là comme une empotée. Je cligne plusieurs fois des paupières puis me pince, espérant que ce ne soit qu'un rêve où tout rentrerait dans l'ordre à mon réveil. Que vient-il de se passer ? Pourquoi est-il parti ? Ce n'est tout de même pas à cause de John, si ? Je conçois le fait que ni l'un, ni l'autre ne le portons dans notre coeur, cela ne nous permet tout de même pas de créer un courroux chaque fois que nous nous voyons. Etre humain signifie être assez intelligent pour éviter ceux que tu détestes, pas les provoquer. Je ne le comprends pas. . . Il est gonflé : il a emporté tous les achats ! Je ne peux donc pas me consoler en essayant mes emplettes.
Je secoue la tête avant de soupirer et d'ouvrir à contrecoeur la porte de ma maison. Je rentre discrètement, avant de comprendre qu'il n'y a personne. Soulagée, je m'installe sur le canapé et continue la lecture de mon livre du moment : Les oiseaux se cachent pour mourir, de Colleen Mc Cullough. Histoire d'amour compliquée qui m'aide à me rappeler qu'il y a encore plus compliqué comme relation que celle d'Enzo et moi. Qui m'aide à tenir le coup plutôt que d'imiter mon copain : tout détruire sur son passage, mentalement et physiquement.
Au bout d'un bon laps de temps, qui me semble être une bonne demi-heure mais qui est en réalité égal à deux heures, je souffle en fermant mon livre. Je n'arrive plus à me concentrer sur les mots qui défilent sous mes yeux. Mes pensées voguent de la fiction à la réalité en un claquement de doigt. Je dois me faire violence pour ne pas le rejoindre. Mais où ? Pourquoi faire ? M'excuser ? De quoi ?
Je soupire un énième fois avant de monter dans ma chambre pour m'allonger sur mon lit. Evy ne va pas tarder à arriver, je n'ai aucune envie de la croiser ; j'ai assez de problèmes comme ça. Rien ne bouge durant l'heure suivante. Tentée par le diable, j'attrape mon téléphone et compose son numéro. Une voix métallique me répond."-Le destinataire que vous cherchez à joindre n'est pas disponible, merci de laisser un message après le bip sonore, à bientôt. . . Biiiiiip."
Je garde un calme olympien et laisse un message.
"-Euh. . . salut Bébé c'est Ele enfin je n'ai jamais été très à l'aise pour parler toute seule donc rappelle moi s'il te plaît, je m'inquiète. Je t'aime."
J'espère juste qu'après l'avoir écouté, il s'exécutera. Comme je n'ai pas encore dîné, je décide de manger une salade tomate-mozzarella pour compenser l'excès de ce midi. Je me mets en pyjama, soit une chemise de nuit assez décolletée blanche où est inscrit "Si le réveil ne sonne pas, c'est qu'il te reste de la liberté". Je regarde La Belle aux Bois Dormants en soupirant de jalousie au moment où Aurore chante "Un jour mon prince viendra" dans la forêt et que le prince Phillipe la prend par la taille par surprise et la fait danser. . . Je ne cesse de consulter l'écran de mon téléphone, espérant y trouver un message de Vous-Savez-Qui, ne serait ce qu'un "Bonne nuit" ou encore un "Laisse moi tranquille : je dors". Rien.
Le film fini, j'éteins la télé pour aller me coucher. La maison vide et sombre me fait frissonner. Je me dépêche donc de me laver les dents pour me mettre en sécurité dans ma chambre. Je m'enfouis sous mes draps et attends que le sommeil vienne les paupières fermées. Soudain, j'entends comme quelque chose claquer. Ma respiration s'arrête, mon coeur bat à cent à l'heure. . . J'ai beau patienter, aucun bruit de retentit de nouveau. Mon esprit doit me jouer des tours. J'ai lu dans un livre que si on s'imaginait des choses, elles pouvaient arriver dans la vraie vie. Ou alors les lois de Murphy. En effet, elles stipulent que si quelque chose de mauvais doit arriver, il arrivera. Je ne sais pas si ma relation avec Enzo est un mauvais fait mais en l'occurrence. . .
Des bruits de pas crissent contre le carrelage sur le sol. Cette fois, je suis sûre de ne pas avoir rêvé. Il y a quelqu'un dans la maison ! Je me dis que c'est peut être Evy, mais les pas me viennent désormais de la cage d'escalier. Pourquoi monterait-elle ? Prenant mon courage à deux mains, je m'empare d'une chaussure à talon que j'ai emprunté à ma mère au début du séjour pour rigoler, en me disant que s'il rentre, je la lui balance dessus avant de le rouer de coups de pieds. Je me trouve un peu ridicule avec mon escarpin à la main, seulement à la guerre comme à la guerre !
Comme ce que je craignais, je perçois l'individu s'approcher de plus en plus. Un faisceau de lumière se fait voir sous la porte. Je retiens mon souffle lorsque je distingue la poignée se baisser tout doucement. Ainsi, au moment où la porte s'ouvre, je pousse un hurlement digne de ce nom en brandissant ma chaussure comme une sauvage."-Ele, c'est moi !"
VOUS LISEZ
Tout ça pour lui (Terminé)
Teen FictionDes lors où ses yeux se sont posés sur moi, j'ai su que quelque chose avait changé en moi. Mais je ne pensais pas être capable d'agir comme tel par amour. J'ai fait tout ça par amour. Tout ça pour lui.