Chapitre 38

11 4 0
                                    

"-Mademoiselle."

Il m'ouvre la porte et me laisse passer tel un gentleman. Je réponds alors en souriant.

"-Merci, monsieur. Vous êtes très aimable."

Il me lance un "je vous en prie" avant de refermer la porte du restaurant derrière lui. Une serveuse nous place sur la terrasse, face à la mer. La pluie s'est arrêtée mais a tout de même rafraichit le temps. Je frisonne en sortant.

"-Tu as froid ? s'inquiète Enzo.

-Non, ne t'en fais pas. Je vais merveilleusement bien."

Je m'installe face à lui sans quitter mon rictus une seule seconde. Il prend ma main dans la sienne sur la table et y dessine des cercles de son pouce. Il semble anxieux. Il évite mon regard, je crois même voir ses joues rosir.

"-Es-tu nerveux ? demandé-je avec incrédulité."

Il rougit encore plus en s'enquérant.

"-Cela se voit autant que ça ?"

Je ris discrètement et le rassure ensuite avec douceur.

"-Pas tellement à vrai dire. Si l'on omet ton genoux qui fait des aller-retours de haut en bas depuis que l'on s'est assis, ta manie de faire craquer les doigts de ta main libre ou encore celle de te mordre l'intérieur de la joue. Je continue ?"

Il me donne un petit coup de pied sous la table. Il grogne.

"-Ha ha, très drôle, je suis plié."

Il est très stressé. Très tendu même. Je décide de le faire rire pour le mettre à l'aise.

"-Oh ça va, espèce de papi ronchon."

Il hausse un sourcil.

"-Tu trouves vraiment que j'ai l'air d'un papi ?"

Je n'arrive pas à déceler ses émotions. Je ne sais pas s'il l'a mal pris ou s'il rit de ma petite blagounette. Je n'ai pas l'impression d'avoir le même garçon qui a recouvert ses lèvres de rouge à lèvres tout à l'heure. Comme s'il avait un jumeau, identique, quelque peu maléfique qui regroupe tout ce dont j'ai peur chez lui. Je suis effrayée du ton sec qu'il prend, comme maintenant, il met comme une distance entre nous. Je ne suis pas terrorisée en soi de la voix, mais de la possibilité de séparation que cette distance peut entraîner. Je dévoile alors mes dents alignées (que je n'aie pas passé deux ans de ma vie à souffrir pour rien) et lui avoue pour lui faire plaisir.

"-Non, tu es parfait."

Au moment où ses lèvres se décèlent pour articuler un mot, la serveuse arrive pour prendre notre commande. En réalité, je me contente de dire "un deuxième, s'il vous plaît" après qu'Enzo ait commandé car je n'y ai absolument pas pensé. J'étais trop occupée à le traiter de grand-père. On peut dire qu'il se soit vengé rapidement ! La jeune fille, alias la casseuse d'ambiance, se retire. J'attends alors la réponse d'Enzo.

"-Merci. Tu n'as qu'une seule tenue ?"

J'écarquille les yeux.

"-Pardon ?

-Tu as mis les mêmes habits que lorsque l'on a dansé ensemble, tu sais à la fête du camping."

Il me prend pour une clocharde. . . Heureusement que j'avais prévu d'emporter mon sac à excuses dans un coin de mon cerveau. Il me suffit seulement de tirer un tiroir et, magie, les idées fusent. Je tire alors un tiroir et réplique.

"-Je voulais m'habiller comme à notre premier "rendez-vous". Pour conserver le charme. . ."

Il lève un sourcil, circonspect. Je soupire.

"-Bon, d'accord, je n'avais rien d'autre à me mettre. Content ?"

J'enfonce mon dos au fond de mon siège et croise les bras pour lui montrer mon irritation.

"-Pourquoi tu as voulu me mentir ? Je demandais ça juste pour te proposer d'aller faire un peu de shopping tous les deux. . ."

Son petit air blessé me fait fondre. Je porte la main que je tenais à ma bouche pour déposer un bisou dans sa paume.

"-Désolée. Je pensais que tu allais te moquer. . . seulement dit à l'oral cela paraît un peu stupide."

il acquiesce avec un petit sourire, ce qui me soulage.

"-Cela l'est, en effet. Je ne me moquerais jamais de toi Bébé, à part bien sûr quand tu croises tes bras, que tu souffles puis que tu gonfles les joues quand tu boudes.

-C'est pas drôle !"

Je m'apprête à croiser les bras ainsi qu'à effectuer tout le protocole pour bouder, lorsque je me rends compte qu'il n'attend que ça pour en rire. Je plisse alors les yeux.

"-T'es un vicieux. . . tu oublies néanmoins que je suis très intelligente, ce qui me permet de me sortir de toutes sortes de situations."

Un rictus insolent ne quitte pas ses lèvres roses et charnues. Si Evy avait été ici, elle aurait mis sa bouche en cul-de-poule en décrétant avec ironie "On y croit tous". Je me demande où elle peut se trouver à présent. Peut être au restau, avec Dylan, ou à la salle des fêtes du camping, où chaque jour une boum est organisée. Elle serait sans doute à la plage, avec un pique nique. Ou encore à la librairie. Je me souviens qu'elle s'était plainte d'avoir fini son roman et de devoir acheter le tome suivant. La serveuse refait apparition avec nos plats. Je me retrouve alors avec un énorme burger et des tonnes de frites dégoulinantes de sauce. Mais qu'est ce que j'ai commandé ?

"-Tout va bien ? s'interroge mon copain une nouvelle fois."

Ses doigts caressent le dos de ma main. J'aimerais qu'il ne cesse jamais de le faire.

"-Oui, je pensais simplement à Evy. Je l'ai croisée en entrant dans mon bungalow, tout à l'heure.

-Vous ne vous êtes pas réconciliées ?"

Je secoue négativement.

"-Et toi avec Dylan ? m'enquiers-je."

Il soupire.

"-Honnêtement je m'en fiche. C'est un con, s'il ne se rend pas compte de ce qu'il perd sans moi c'est que je ne le mérite pas."

J'éclate de rire.

"-Mais quelle modestie, dites donc !"

Il prend son couteau et sa fourchette pour couper son hamburger. Je me mords la lèvre pour ne pas rire. Je pique une frite dans mon assiette. Il me considère avec des yeux doux.

"-Tu veux en parler ?"

Son ton est compatissant. Je picore encore dans mon assiette avant de prendre une grande respiration et de commencer mon récit.

"-Aussi loin que je me souvienne, Evy a toujours fait partie de ma vie. Je me souviendrai éternellement du jour de notre rencontre. Nous ne nous sommes plus quittées depuis. On a eu, certes, quelques disputes, seulement aucune n'était aussi violente que celle que nous sommes en train de vivre. Je ne souhaite plus rester fâchée avec elle, si je suis venue ici en sa compagnie, c'est que je désirais passer mes vacances à ses côtés. Au lieu de cela, nous avons rompu le lien qui nous unissait. Je ne sais pas si elle me pardonnera un jour. J'espère qu'elle comprendra que le duo que nous avons fait dans son dos était pour son bien, je ne voulais en aucun cas qu'elle se prenne la honte devant tout le monde. Je m'en veux tellement. Surtout depuis que Dylan m'a embrassée. . ."

Je m'interromps aussitôt en mordant ma lèvre. La fourchette qu'Enzo s'apprêtait à enfourner tombe bruyamment dans son assiette.

Oh Seigneur. . .

Tout ça pour lui (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant