"-Tu le sauras en temps voulu. Je ne suis pas encore prêt à en parler."
Ma respiration reprend son rythme habituel et je peine vraiment à cacher ma déception. Je pensais enfin pouvoir partager ses tourments, pouvoir l'aider, pouvoir avancer. Seulement il choisit la lâcheté et se renferme dans un mutisme qui m'exaspère de plus en plus. Je me sens plonger avec lui, en essayant de le faire remonter avec moi. Mais il persiste à vouloir m'entraîner de plus en plus profond avec lui plutôt que de rejoindre la lumière que je convoite depuis l'entrée du gouffre.
Il prend mon menton entre son pouce et son index pour relever mon visage."-Je suis désolé. Sincèrement, insiste-t-il."
Je m'écarte légèrement de lui en lui faisant comprendre que j'avais compris. Je me demande combien de temps je vais pouvoir tenir avec ces allers et venues de mon coeur entre l'euphorie et le désespoir. En amour, tout est noir ou blanc. Jamais gris, jaune. Noir. Blanc. Point.
Il persiste à me convaincre en prenant ma main et en balançant d'avant en arrière nos doigts entrecroisés. Il se met ensuite à siffler gaiement. Cela m'arrache, malgré moi, un sourire. Il se penche légèrement vers moi pour rapprocher ses lèvres de mon oreille et murmure."-Mademoiselle est toujours fâchée ?"
Je me tourne pour le défier fièrement du regard. Cependant, j'échoue lamentablement en sentant les commissures de mes lèvres s'étirer devant son allure charmeuse un peu forcée. La façon dont il me regarde me fait légèrement rougir. Il en a conscience en plus cet idiot, car il continue d'accentuer cet air en se mordant la lèvre. Je le tape gentiment.
"-Arrête ! T'es vraiment bizarre quand tu fais ça."
Il ricane.
"-En faisant quoi ? Je ne vois pas de quoi tu parles, ment-il."
Je lève les yeux au ciel en soupirant. Nous continuons de nous promener sur la jetée, sans but précis. Peu à peu, la plage se désemplit. Les touristes rangent leurs affaires, secouent leurs serviettes et rejoignent leurs voitures, s'appuyant sur le coffre pour secouer leurs pieds sableux. Les commerces rentrent leurs étals dans la boutique en vrac avant d'abaisser le rideau de fer, signe de fermeture. Le soleil, toujours haut pour l'heure tardive, commence également à décliner, lentement.
Assis dans le sable, presque seuls désormais, ma tête posée contre l'épaule d'Enzo, nous contemplons l'horizon. Nous profitons de la présence de l'autre, maudissant secrètement à l'intérieur le jour où cela se finira. Je tourne ma tête vers lui en décrétant."-Je viens de me rendre compte que je ne sais rien de toi, au final. . ."
Il se tourne vers moi, un sourire étrange trônant sur ses lèvres. Celui qui me fait autant craquer qu'angoisser, Dieu sait ce qu'il peut lui passer dans la tête lorsqu'il est comme ça. Il pose sa joue contre son épaule sans me lâcher du regard et demande :
"-Que veux-tu savoir, petite fouineuse ?"
Je me mords la lèvre tout en réfléchissant à la question que je pourrais lui poser.
"-Comment étais-tu quand t'étais petit ?"
Il rit en balançant sa tête en arrière.
"-Oula ! Comment étais-je avant de devenir le beau gosse charmeur qui se tient en face de toi maintenant ? En vérité, j'étais plutôt sage. C'est mon frère qui était turbulant. Chaque fois que ma mère avait le dos tourné, il m'embêtait ou faisait une bêtise. Il était infernal ! Je ne sais pas comment j'ai fait pour le supporter. . .
-Comment est-il maintenant ? Il est plus âgé que toi ?"
Il me calme en mettant ses mains devant lui, comme pour se parer d'un danger.
"-Doucement ! ricane-t-il. Il est, effectivement, plus âgé que moi de deux ans. Désormais, c'est un vrai intello, du genre lunettes et chemises repassées, et lèche-botte comme pas possible. Chaque fois que je fais une connerie, il est là, à me rabâcher que ce n'est pas bien alors que je me suis déjà pris un savon de mes parents. De toutes façons, dès que je suis majeur, je me casse de cette maison de fous. Ni adieux, ni merde, ni rien, j'irai étudier et vivre ma vie sans plus jamais les revoir et ce sera bien fait pour leurs culs."
Je ne sais pas pourquoi, mais ses paroles me provoquent un pincement au coeur. Je suis sûre que sa famille est géniale, que c'est juste lui qui leur fait la misère. Seulement, je ne sais pas comment trouver la bonne tournure de phrase pour lui faire comprendre que la haine n'est qu'à sens unique et que c'est lui qui l'alimente. De plus, je ne comprends toujours pas comment il a tourné ainsi. Pourquoi s'est-il tourné vers l'ombre plutôt que de rester le gentil fils qu'il était ?
Tout en prenant des pinces, je m'enquis en coinçant une mèche de cheveu derrière mon oreille."-Tu leur en as parlé, de ton état d'âme ? Tu leur as dis que tu veux partir et pourquoi ?
-Sûrement pas ! s'affole-t-il. Ils m'enverraient en pension ou une connerie du genre. . .
-Ou vous discuterez des problèmes de relations que vous traversez. Tu leur raconte ton histoire, la vraie, celle qui explique ton choix de parcours."
Il secoue la tête en riant jaune.
"-Jamais de la vie ! Si je leur dévoile tout, ils me renieront pour sûr ! Je ne peux pas. . .
-As-tu réfléchi à une solution pour que cela aille mieux à la maison, sans tout avouer ? As-tu déjà fait cet effort ? insisté-je."
Il se passe la main dans son épaisse tignasse châtaine. Le muscle de sa mâchoire devient saillant puis invisible. Ce geste est répété plusieurs fois, signe qu'il la contracte et la décontracte pour évacuer sa frustration.
"-Non, ce n'est pas à moi de le faire. Et puis, de quoi tu te mêles ? On ne se connaît presque pas, on est des inconnus l'un pour l'autre. Je pense que je me connais mieux que quiconque, encore moins que toi."
Je meurs d'envie de le gifler. S'il n'avait pas été aussi beau, je l'aurais probablement fait depuis des lustres, et pas qu'une fois ! Je ne me contente pas de sa répondre et persiste.
"-Le "presque" change tout. On sait des choses tellement intimes que nous n'avons jamais dit à personne. Je refuse te laisser nous dénigrer ainsi. Je refuse de m'être battue pour rien. Je te conseille donc de parler avec des parents pour mettre carte sur table. C'est tellement dommage de ne pas s'entendre dans une famille. . .
-Mais pourquoi tu t'entêtes ? Cela ne te concerne en rien. En plus, le monde n'est pas rose comme ta petite famille et toi. Discussion terminée."
Je serre les poings et réplique.
"-Mais. . .
-J'ai dit que cette conversation était close, tranche-t-il."
Seulement pour maintenant, cependant compte sur moi pour la remettre sur le tapis à un moment ou à un autre. Je me décale de manière à mettre plus de distances entre nos corps. Cet acte peut paraître puéril, mais je veux juste lui signifier que je ne laisse pas passer. J'en ai marre. Chaque fois je me fais avoir. Chaque fois. Il me manipule avec des mots doux, les paroles que je voudrais entendre, pour mieux m'atteindre à la prochaine attaque.
Plus il me frappe, plus vite il me met K.O. Toutefois, viendra un moment où je ne me relèverai plus. Du tout.
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Tout ça pour lui (Terminé)
Teen FictionDes lors où ses yeux se sont posés sur moi, j'ai su que quelque chose avait changé en moi. Mais je ne pensais pas être capable d'agir comme tel par amour. J'ai fait tout ça par amour. Tout ça pour lui.