Chapitre 55

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Je coince une mèche de cheveux derrière mon oreille et avance dans la pièce d'un pas hésitant, gênée. Elle est assise sur son lit, un oreiller contre elle noirci de mascara. Ses yeux ont la même couleur et sont tournés vers moi. J'y lis de la détresse. Seulement, la seconde d'après, elle détourne son regard et relève son menton, comme pour paraître fière et moins vulnérable.
Je la rejoins et prends place à ses côtés. Un silence pesant emplit alors la pièce. Nous nous dévisageons, attendant que l'autre se prononce. Néanmoins, aussi têtues l'une que l'autre, aucune ne prend la parole. J'entends l'aiguille de son réveil tinter chaque seconde, les crissements des pas des passants contre les graviers, la bourrasque de vent qui heurte le carreau de la fenêtre en un bruit sourd.
C'est maintenant ou jamais. Si je ne fais pas le premier pas, tout est perdu. Je porte ma main à ma bouche et toussote.

"-Je suis. . . vraiment désolée pour tout à l'heure. J'ai été tellement maladroite, commencé-je mal assurée."

Elle émet un hoquet avant de répondre d'une voix rauque :

"-Tu es pardonnée, évidemment. Comme toujours. Tu as tout ce que tu veux, tu as tout pour toi. Tu es belle, as un copain formidable, des parents extraordinaires, de bonnes notes. . . Moi je ne suis qu'une plaie, inutile et douloureuse."

Je prends sa main tandis qu'elle sanglote une nouvelle fois. Je ne sais pas quoi lui dire car, tout ce qu'elle vient de débiter, c'est ce que je pensais d'elle. Qu'ensemble nous étions la lune : une partie éclairée, la seconde obscure.

"-Qu'est ce qu'il t'arrive ? lui demandé-je. C'est à cause de Dylan toutes ces mauvaises pensées ? Si c'est le cas, arrête tout de suite. Parce que cela ne changera rien, parce qu'il n'en vaut pas la peine, parce qu'il s'en lave les mains. Ce qui lui importe désormais, c'est de trouver une nouvelle fille pour compléter son statut "En couple" Facebook. C'est tout. Alors, tu vas me faire le plaisir de te relever car il y a pire dans la vie. Il y a des gens qui ne mangent pas à leur faim, qui se tuent au travail pour gagner quelques centimes et qui passent leur vie dans la rue, dans l'insécurité, l'insalubrité et le froid. Certes, il t'a fait mal, mais profite de ce coup pour le rendre au karma. Après l'avoir sonné, je suis certaine qu'il ne pourra que t'envoyer de bonnes choses."

Je reprends mon souffle après ma tirade. J'ai fait de mon mieux pour paraître éloquente et la persuader. Ainsi, afin d'illustrer mes propos, je me remets sur mes jambes et lui tends ma main pour la relever. Pour lui montrer que je suis là pour l'aider dans sa résurrection mentale. Elle sourit en l'acceptant. Prenant un ton enjoué, je claque mes mains l'une dans l'autre en lançant.

"-Bon, ce n'est pas tout, mais j'ai faim. Viens, on va se concocter un déjeuner dont tu m'en diras des nouvelles !"

Elle rit en acquiesçant.

"-Par contre, reprends-je, change-toi immédiatement : tu crois vraiment que c'est en pyjama que tu vas séduire l'amour de ta vie ! Never ! Dès que tu auras changé de vêtements, on cuisinera et on ira danser, ça te fera du bien de tout extérioriser."

Elle se relève, droite comme un piquet, au garde à vous.

"-Bien chef ! A vos ordres chef !"

Je ris en l'entendant plaisanter de cette manière. Je regagne la cuisine. Je sors tous les aliments nécessaires pour faire une salade de pâtes. Ce n'est pas le repas digne des spécialistes culinaires, mais faire une activité ensemble permet de resserrer les liens effrités de notre dispute. Lorsque je relève la tête, Evy apparaît plus jolie que jamais dans son minishort en jean et son haut à épaules dénudées saumon. Finalement, j'ai été plus convaincante que prévu.
Je l'invite aussitôt à prendre le relais dans la confection de la sauce tandis que je fais bouillir de l'eau. Nous ne cessons de rire, que ce soit à cause de la forme circonspecte des pâtes qui nous fait douter de leur cuissons, ou à cause d'une trace suspecte verdâtre sur les tomates. Nous mettons plus d'une heure et demi à faire un plat qui ne nécessite qu'un petit quart d'heure à la réalisation. Seulement ce n'est nullement du temps perdu, car nous avons amplement, pas tout à fait mais presque, retrouvé notre ancienne relation, même si quelques fois il y a des mutismes gênés entre nous.

"-Avant d'aller au cours de danse, tu veux griller un peu à la plage ? proposé-je."

Elle accepte et nous nous y rendons quelques minutes plus tard. Je décide de ne pas apporter mon livre balnéaire fétiche pour consacrer tout mon temps à Evy. Allongées comme des homards, prêtes à cramer, nous nous racontons les derniers potins manqués.

"-Au fait, je ne t'ai pas dit ! s'exclame-t-elle."

Je me marre intérieurement en la voyant si impliquée dans la conversation.

"-Dani et sa copine, ça a l'air d'être du sérieux, s'empresse-t-elle de débiter.

-Il est en couple ?

-Oui, depuis notre rupture.

-Et. . . ça ne te fais rien ?"

Elle rejette sa tête en arrière pour s'esclaffer.

"-Absolument pas ! J'avais un beau gosse dont je me préoccupais beaucoup plus !"

Son rictus s'efface petit à petit. Elle repense à lui. Sûrement aux moments passés ensemble, à leurs baisers, leurs fous rires. A son petit regard doux qu'il devait lui offrir tandis qu'elle papillonnait des cils en lui demandant de ne jamais cesser de lui dire "je t'aime".
Maintenant qu'on y est, je me risque en m'enquérant :

"-Pourquoi t'a-t-il quitté ?"

Elle soupire en tentant de prendre une voix légère, mais elle est trahie par un trémolo d'émotion.

"-Il n'était soi disant pas assez bien pour moi, qu'il n'y avait plus la même alchimie entre nous qu'au début, qu'il ne voulait plus se forcer à paraître amoureux de moi alors que. . . ce n'était plus le cas. Cependant, je me demande s'il l'a été un jour. C'est ce que je ne cesse de me demander en voyant la rapidité avec laquelle ses sentiments se sont émoussés."

Je claque ma langue contre mon palais en posant une main sur son bras pour la rassurer.

"-Bien sûr qu'il t'a aimée ! Bien qu'il soit un coureur de jupons, je ne pense pas qu'il soit assez connard pour jouer avec toi comme ça."

Elle fronce les sourcils.

"-Coureur de jupons ? Non, il n'était pas du tout comme ça ! Il était gentil, attentionné. . . Comment le sais-tu ?

-Enzo m'avait mise en garde. Je n'ai pas eu la force de te le dire.

-Sérieusement ? Tu le savais et tu m'as laissée foncer dans le mur ! Attends une minute. . . il ne t'avait pas embrassée aussi ?

-Evy. . ."

Elle commence à ranger toutes ses affaires dans son sac. Et voilà, retour à la case départ ! A force de vouloir préserver les personnes que l'on aime avec des mensonges, on finit par les détruire. La voyant déterminée à ma fausser compagnie hors d'elle, je tente de la retenir.

"-Evy, j'ai fait ça pour ne rien gâcher entre vous. Tu avais l'air tellement heureuse. . . Je suis tellement navrée."

Ses yeux s'embuent tandis que sa lèvre se met à trembler. Fébrile, elle se relève et évite mon regard. J'essaye de la raisonner, rien à faire. Elle est aveuglée de chagrin, brisée et se sent trahie par tous ses proches. Alors que j'attrape son poignet pour l'arrêter, elle tombe à genoux et saute à mon cou pour s'effondrer. Je ne comprends pas son acte, pourquoi elle se laisse aller ainsi avec autant de désespoir. Jusqu'à ce que je croise ses yeux.

Tout ça pour lui (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant