Tout ça pour lui (Terminé)

Chapitre 77

La bourrasque de vent me fouette le visage, comme si la réalité revenait m'assaillir d'un coup. Comment John ose-t-il me menacer de la sorte ? En serait-il vraiment capable ? Je me ronge l'ongle pour évacuer ma frustration. Dois-je lui obéir ? Et s'il disait vrai ? Si cela allait réellement me sortir de mes abysses ? Je secoue la tête en soupirant. Il s'est tiré dès que j'ai pris place sur le canapé, à moitié évanouie. Je suis de plus en plus faible, je le sens. Je n'étais jamais tombée dans les pommes, et voilà qu'à chaque fois un malaise me prend. Je fais pitié.
Une fois remise sur pieds, je suis sortie pour réfléchir. Je ne sais pourquoi, je me suis retrouvée ici, agrippée à la rembarde du kiosque. Je suis tellement préoccupée que les souvenirs n'ont pas le temps de faire leur apparition. Je n'ai plus de force, les larmes ne peuvent même pas tomber. Je ne sais même pas pourquoi je reste en vie. Je n'irai qu'à rejoindre Elise, comme ça ils règleront leurs affaires sans moi.
Qu'est ce que je raconte ?
Je lâche un nouveau soupir en contemplant la mer agitée. L'écume s'envole légèrement chaque fois qu'une d'entre elles parvient jusqu'à la plage rapidement avec impatience d'enfin arriver sur une terre, après un long voyage qu'elles croyaient sans fin. Elles ont atteint leur but et peuvent ainsi mourir tranquillement sur le sable sans plus rien attendre du monde. Qu'ai-je à espérer en restant ici ? Je reste pour ma famille, mes amis, pour un semblant de vie qui n'a plus de sens.
Un bruit de talon cognant le parterre de bois se répète en résonnant dans l'habitacle. Cette cadence. . . Un raclement de gorge se fait entendre.

"-Il est temps qu'on parle, tu ne crois pas ?"

Ma peau devient grumeleuse. Cette voix. . . Jamais je ne pourrais l'oublier. Je n'ai pas besoin de me retourner pour savoir de qui il s'agit. Il vient de son propre gré à ma hauteur, pour placer ses mains proche des miennes.

"-Dylan m'a raconté ce que tu as fait pour moi hier. Il y a tellement d'incohérences entre ce que tu m'as dit et ce que tu fais. Je ne sais plus du tout où j'en suis. Je ne sais pas si tu m'aimes, si on est toujours ensemble, si tu ne veux plus me voir. Si tu as joué avec moi, c'est le moment de me le dire."

Je fronce les sourcils en répliquant.

"-J'ai toujours été honnête quant à ce que je disais."

Il acquiesce tristement.

"-Toujours ? J'en viens à croire que tu l'étais également lorsque tu ne voulais plus me voir ni avoir quoique ce soit à faire avec moi."

Ma mâchoire se serre et se relâche pour m'éviter de répondre. Je laisse planer le doute pour ne pas avoir à lui briser le coeur franchement et salement. Néanmoins, je tiens bon. Je ne dois pas céder. Sinon John pourrait divulguer la vidéo et ce serait une catastrophe pour toi. Je ne dois pas courir ce risque, quelque en soit le prix.

"-Je t'aime encore, et cela n'est pas près de s'arrêter maintenant. J'ai appris que tu étais avec John. Mais qu'est ce que t'es en train de faire ? Tu ne te rends pas compte que c'est moi que tu aimes ?"

Je serre une nouvelle fois mes dents. Evidemment que je le sais ! Je n'ai jamais cessé de le savoir, ça me ronge depuis des jours. Cela peut paraître présomptueux, mais là tout de suite cela me blesse plus qu'autre chose. Il ne se laissera pas persuader facilement, le blesser sera dont inévitable.
Je t'en supplie pardonne-moi.

"-C'est vraiment ce que tu croies ? rétorqué-je d'une voix totalement blanche."

Ses yeux clairs qui ont su me faire tourner la tête plus d'une fois s'écarquillent. Je les évite du mieux que je le peux. Y voir la souffrance m'est intolérable. Qu'on en finisse et au plus vite.

"-Tu ne m'aimes plus ?"

Son gémissement trahit sa douleur. Ma gorge se noue et je ferme les yeux pour cacher mes larmes. Je secoue le chef négativement, incapable de prononcer quoique ce soit.

"-Ce n'est pas vrai ! Tu mens ! Tu m'aimes ! Tu mens. . ."

Il s'autopersuade comme il le peut. Cela doit être un cauchemar pour lui autant que pour moi. Si seulement il savait pourquoi j'agis ainsi, si je pouvais lui dire ne serait-ce qu'un petit mot pour lui signaler que quelque chose cloche. Et pourtant, je dois me murer dans mon mutisme pour le protéger. Ne peut-il pas le comprendre plutôt que de me faire regretter ?
Il encadre mon visage de ses mains en collant mon front contre le sien.

"-Dis-le moi en face. Je t'en supplie. . ."

Avec une force olympienne, j'ouvre mes paupières. Mes yeux sont embués. Il le voit. Seulement le ton de ma voix se fait dur pour qu'il y croie.

"-Je. . . je ne t'aime plus. . ."

Je ne tiens plus et éclate en sanglot silencieusement en me détournant. J'ai à peine le temps de voir son air abattu et ses yeux humides. Que suis-je en train de faire ? Non, c'est pour son bien, c'est pour lui que je fais cela. Je ne dois pas l'oublier. Ses bras me poussent violemment.

"-Tu n'as pas le droit de ne plus m'aimer ! rugit-il. Tu me l'as promis ! Ne me quitte pas, je t'en conjure. . ."

J'ai la sensation de me trouver face à une bête enragée de désespoir. Il ne sait plus quoi faire pour me retenir, je ne sais plus quoi faire pour lui faire comprendre sans qu'il ne se rende compte du manège de John.

"-J'ai menti, dis-je entre deux sanglots silencieux."

Je hoquette tout en essayant de cacher mon visage. Il coince mes poignets et me force à lui faire face.

"-Vu l'état dans lequel tu es, ça m'étonne que ce que tu me dises soit vrai. Pourquoi tu veux me quitter ? Dis-moi la vérité et je te laisse partir sans demander mon reste."

Il pleure. Le marché de John est de plus en plus difficile à tenir tant il est cruel. Je reste terrée dans un mutisme qui en dit long sur mes intentions. Je réfléchis à un mensonge passable. Encore un. . . Chaque fois que j'en débite un, c'est comme si l'on me l'arrachait petit à petit, me laissant souffrir le martyr. Finalement, l'amour n'était pas fait pour moi. Je ne le méritais pas. Je ne l'ai jamais mérité. Mes larmes redoublent de volume.

"-Lâche-moi, s'il te plaît, imploré-je. S'il te plaît. . ."

Mon ton est si suppliant que je le sens céder. Abandonne-moi, oublie-moi, je n'aurais jamais dû te connaître. Je n'aurais jamais dû exister, si j'avais su combien je ferai du mal à l'homme que j'aime. Il desserre sa prise, pour me délivrer totalement. La tête baissée, il demande simplement, les joues trempées.

"-Embrasse-moi une dernière fois, pour au moins que cela se finisse sur une bonne note. Un dernier, pour que je puisse enfin t'oublier. Un dernier, pour se dire adieu. Après, tu ne me verras plus. Je te le promets, et je sais tenir mes promesses."

Cette allusion me fait mal, mais je ne peux pas lui en vouloir. Mon corps meurt d'envie de se précipiter contre le sien, je dois me faire violence pour le retenir. Si je l'embrasse, je serais sûre qu'il m'oubliera. Egoïstement, je n'ai aucune envie que cela arrive. Ce baiser sera empoisonné pour lui comme pour moi, il nous rappellera des souvenirs et nous contraindra également à les oublier.
Ce serait dommage que la vidéo tombe entre les mains de la police. . .
Fais-le Ele, dis-lui adieu.
Sans que je ne m'en rende compte, ses douces lèvres ont déjà rencontré les miennes pour un baiser de loin inoubliable.
Adieu Enzo, pardonne-moi.